High Creek's Jail
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Une prison un peu étrange...
 
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Candide [PV]

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Eden
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MessageSujet: Candide [PV]   Candide [PV] Icon_minitimeLun 9 Fév - 22:16

« Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes ; aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussées, et nous avons des chausses. Les pierres ont été formées pour être taillées et pour en faire des châteaux : aussi monseigneur a un très beau château : le pus grand baron de la province doit être le mieux logé ; et les cochons étant faits pour êtres mangés, nous mangeons du porc toute l’année. Par conséquent, ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise : il fallait dire que tout est au mieux. »

Un soupir dérangea le silence de la bibliothèque. Pangloss était, sans nul doute, un parfait idiot. Voltaire démontait habilement tout au long du conte la théorie qu’il avait lui-même instauré, utilisant Pangloss comme marionnette pour continuer à la prouver et parfaire ainsi son image de philosophe ignare.
Elle eut un sourire, remuant légèrement sur sa chaise et tapotant imperceptiblement la table du doigt. Le monde n’était ni beau, ni parfait. D’ailleurs, s’il l’avait été, elle aurait probablement était ailleurs qu’ici, à moisir dans un centre de redressement pour des actes que personne ne pouvait lui reprocher. Pouvait-on punir quelqu’un d’avoir essayé de sauver sa peau plutôt que celle d’un animal ? Certes, Helen n’avait rien d’un animal et sa mère la considérait sûrement comme humaine, mais Eden elle-même ne voyait en cette fille qu’une petite idiote n’ayant pas assez fait attention.
A présent, elle était libre, heureuse chez elle tandis qu’elle se retrouvait à High Creek’s Jail, au milieu de détenus bagarreurs et dont l’éducation était aussi inexistante que leur cerveau.
Elle avait vainement essayé de discuter avec l’un des colosses peuplant la basse-cour de l’établissement, mais elle n’en avait tiré qu’un grognement acerbe et un regard noir… Rien de très reluisant en somme. A priori, la communication n’était pas son fort et ce fut après avoir tenté de lui inculquer des notions de vocabulaire et de mathématiques qu’elle avait définitivement abandonné la partie : cet être-là n’était sans doute pas destiné à un avenir faste et glorieux comme l’avait pu être celui d’Eden avant son petit écart de conduite.

Elle croisa les bras et posa sa tête dessus, abattue. Elle avait failli à la tâche qui lui avait été assignée à la mort de son frère. Elle n’avait pas su s’en tenir à son rôle et cette légère mésaventure s’était soldée par un échec des plus cuisants. A croire qu’elle avait jetée en pâture son esclave à ces charognards qui s’en étaient pris à elle… Vrai, dans un sens. Mais faux dans l’autre. C’étaient eux qui avaient commencé !
La jeune fille se redressa et s’étira, reprenant consciencieusement sa lecture. A son arrivée, ç’avait été sa première tâche que de demander un accès à la bibliothèque, accès qu’on lui avait accordé quelques jours plus tard. Depuis la veille, elle passait tous ses temps libres dans cette salle, se maintenant volontairement éloignée des autres détenus, ne tenant pas à être contaminée par leur bêtise… Ce n’était pas parce qu’elle se trouvait dans une « prison pour adolescents à problèmes » qu’elle devait virer illettrée. Elle comptait bien continuer à se cultiver, que les autres le veuillent ou non.

En tailleur sur sa chaise, en équilibre précaire, elle poursuivit sa lecture de Candide.
Qui était Candide sinon un jeune poussin, forcé de découvrir le monde, chassé à coup de pieds du château de Thunder-ten-tronckh ? Bâillant ostensiblement, elle s’attarda sur le discours de Pangloss : « Tout cela était indispensable, répliquait le docteur borgne, et les malheurs particuliers font le bien général ; de sorte que plus il y a de malheurs particuliers et plus tout est bien ». Elle fronça les sourcils. Son propre malheur contribuait-il au bonheur de tous ? Elle aurait préféré que tous soient malheureux et qu’elle, ait accès au bonheur. La réciproque de cette théorie lui plaisait bien plus.
Un sourire joyeux flotta sur son visage. Il était si facile d’entretenir une image. Les rares personnes qu’elle avait rencontrées durant ces quelques jours avaient cru qu’elle était ici par erreur (ce qui était vrai, bien entendu) tant ses traits d’ange annonçaient un caractère simple et heureux.
Sommeillant à moitié, elle poursuivit sa lecture, se laissant bercer par les malheurs de l’anabaptiste Jacques et par le silence pesant de la bibliothèque.
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Mr. H.
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Mr. H.


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MessageSujet: Re: Candide [PV]   Candide [PV] Icon_minitimeLun 9 Fév - 22:49

Lu, lu, lu et – tiens ! – relu. Mr. H. fit la moue. Il possédait une bibliothèque personnelle plutôt garnie. Des Yeats, des Wilde, des Austen, des Kipling et même un recueil de poésie de Webster, et d’autres encore. Mais il avait tout lu. Comme le temps passait vite… Avec la gestion de High Creek, il avait à peine le temps de s’installer à son sofa pour lire quelques pages, et il avait néanmoins déjà tout compulsé. Il était pourtant persuadé qu’il restait encore un ou deux volumes qu’il n’avait pas dévorés. Où étaient-ils passés ? Se pouvait-il que quelqu’un fusse entré dans son bureau durant une de ses – très – rares absences, et lui eût dérobé les fameux livres ? Non, c’était impossible. Celui qui se serait permis de faire cela se serait exposé au courroux du Directeur. Les plus anciens savaient que cela était une grossière erreur… Les nouveaux, eux, le considéraient souvent comme un « planqué ».
Du haut de son dernier étage, Mr. H. agissait souvent comme un reclus. On ne le voyait que rarement ; il semblait même qu’il ne passait pas par les couloirs pour descendre jusqu’à son jardin privé. Nul ne l’avait jamais vu ni au rez-de-chaussée ni au premier, mais des rumeurs disaient qu’on l’avait aperçu, quelquefois, dans l’aile abandonnée. Vérité ou invention ? Nul ne le savait vraiment. Mais l’étrange personnalité du Directeur intriguait, autant qu’elle fascinait et agaçait.
Ce jour-là, donc, Mr. H. n’avait plus rien à lire, et plus rien à lire équivalait à un ennui mortel en l’absence de Prisonnier avec qui s’amuser. Malheureusement, cela signifiait aussi qu’il devait se rendre à la bibliothèque, celle que les détenus pouvaient fréquenter après en avoir fait la demande. Et bien sûr, cela signifiait croiser lesdits détenus. Non pas que Mr. H. détestait cela, bien au contraire. Il était même ravi de pouvoir s’amuser de temps à autres. Mais ce jour-là, il n’avait absolument pas envie de voir qui que ce soit.
Tel un spectre blafard, il sortit donc de son antre, son bureau, pour se diriger vers les portes de la bibliothèque. Fort heureusement, il n’y avait pas foule qui demandait un accès à cet endroit. Les jeunes préféraient passer du temps dans leur salle de détente plutôt que d’accéder au paradis qu’était la lecture. Ils ne savaient pas ce qu’ils manquaient. Si leurs parents avaient eu la moindre considération pour eux, et leur avait collé un bon livre entre les mains, nul doute qu’ils n’auraient pas fini comme ils étaient lorsqu’ils passaient les portes de High Creek…
Enfin… Ce qui était fait, était fait. À présent, on ne pouvait plus compter que sur le talent de Mr. H. pour les remettre dans le droit chemin. Le mystérieux directeur poussa la lourde porte de la bibliothèque. Ici, il n’y avait pas de banque d’accueil, pas de fiche d’emprunt. Les Prisonniers n’avaient pas le droit de sortir les livres de cet endroit : sous l’autorité des Gardiens, la bibliothèque devait rester un lieu de calme, et les Prisonniers étaient fouillés à leur entrée et à leur sortie. Ce fut donc dans une large salle au silence implacable qu’il pénétra, tel un spectre blanc, pour aller flâner parmi les rayons.
Littérature française ? Pitié, non. Il détestait cela. Aucune originalité, des auteurs payés à la page… Contes ? Il n’était plus un enfant. Essais ? Ennuyeux. Poésie ? Aucun intérêt. Bande dessinée… Tiens, pourquoi pas ? Il ne s’était jamais intéressé à la bande dessinée auparavant. Alors… des hommes en collants, des demoiselles en jupe si courtes qu’elles auraient aussi bien fait de ne pas en porter, de la violence, du sang, de l’humour douteux… Oui, ça pouvait être intéressant. Mais laquelle pourrait-il choisir ? Il y en avait tellement. Il ne s’était jamais rendu compte qu’il avait dépensé autant d’argent pour un rayon aussi ridicule que celui des bandes dessinées. Toutes étaient dans un excellent état : peu de monde venait ici…
Tandis qu’il feuilletait un recueil étrange parlant d’un homme qui se prenait pour une chauve-souris, son attention fut attirée par une jeune fille aux traits fins et délicats, assise dans un fauteuil, le regard rivé sur une édition de Candide. Voltaire… Peut-être le seul écrivain français que Mr. H. supportait. Mais qui était cette fille ? Elle semblait étrangement… « innocente ». Mr. H. savait qu’il valait mieux ne pas se fier aux apparences : si elle était ici, c’est qu’elle l’avait très probablement mérité. Elle devait bien cacher son jeu. Mr. H. sourit. Ce genre de Prisonniers l’amusait au plus haut point. Certains de leur pouvoir de persuasion, de leur force de caractère, ils ne se rendaient compte qu’ils étaient faibles que lorsqu’ils passaient entre les mains du directeur de High Creek.
Soudain beaucoup plus intéressé par la jeune fille que par la bande dessinée de l’homme aux collants noirs, Mr. H. alla s’asseoir sur un fauteuil en face d’elle, la gratifia d’un sourire à la fois énigmatique et chaleureux.

Bonjour, Miss…

Il laissa volontairement sa phrase en suspens, pour qu’elle lui dise son nom. Avec tous les dossiers qu’il avait à traiter, Mr. H. ne pouvait hélas pas se rappeler le nom de chacun.

Très bon choix, Candide, dit-il en agitant son exemplaire de la chauve-souris humaine. Je crains de ne pouvoir en dire autant du mien…
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Eden
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MessageSujet: Re: Candide [PV]   Candide [PV] Icon_minitimeLun 9 Fév - 23:26

« Car, dit-il, tout ceci est ce qu’il y a de mieux ; car s’il y a un volcan à Lisbonne, il ne pouvait être ailleurs ; car il est impossible que les choses ne soient pas où elles sont ; car tout est bien. »

Nouvelle grimace, nouveau raclement de gorge pour une demoiselle à demi hilare qui retenait son éclat de rire, son corps se secouant silencieusement sous l’effet des paroles de Pangloss. Ce philosophe était décidément très drôle et elle n’arrivait pas à compatir du sort des personnages. Ceux-ci étaient trop éloignés d’elle dans le temps et dans leur conception du monde qu’elle les considérait comme deux fourmis tentant vainement d’effectuer le travail qui leur était demandé.
Elle retint un nouveau fou rire, se contentant d’un bien maigre sourire alors qu’une personne venait s’installer en face d’elle et paraissait vouloir entamer la conversation. Si les discussions l’ennuyaient, elle ne pouvait néanmoins pas se permettre de ternir l’image de sainte descendue du ciel qu’elle entretenait avec tant d’ardeur. Elle s’arracha avec regret de son livre, souriant chaleureusement à l’individu. Celui-ci devait avoir la trentaine et ne paraissait pas avoir l’air bien méchant. Au contraire, il lui paraissait affable et poli. Elle refusa cependant de se peindre une image toute faite, ne sachant que trop bien que les apparences sont souvent trompeuses. Sa première impression n’en demeura pas moins bénéfique pour l’individu.


« Eden. »

Déclara-t-elle, devinant que celui-ci sous-entendait qu’il cherchait son prénom. Elle ne mentionna pas son nom de famille, le jugeant inutile. Après tout, qui de nos jours s’amuse à employer les us du Moyen-Âge en nommant chacun Dame ou Monseigneur ? A cette pensée, elle étouffa un nouveau rire, consciente qu’elle manquait de politesse envers son mystérieux interlocuteur. Encore une personne qu’elle prendrait plaisir à tromper.
Jetant un coup d’œil à la bande dessinée choisie par l’inconnu, elle retint de justesse un nouveau rire qui lui aurait valu un mauvais regard de la part des gardiens chargés de la surveiller. Cette observation constante de sa personne la gênait, mais se plaindre ne faisait par partie de son image. Elle se devait d’être toujours présentable, à l’humeur engageante… Caractère qu’elle avait bien du mal à garder dans ce centre de redressement où chacun trouvait amusant de taper sur l’autre jusqu’à que celui-ci hurle de douleur. L’être humain se dégradait au fil du temps et la société n’avait plus rien à voir avec ce qu’elle était. Rien d’étonnant donc à ce qu’elle fasse naître des êtres comme Eden persuadée de vivre constamment dans une ferme ou dans une jungle. Le plus fort gagne ? Si son physique ne lui permettait de prouver une force supérieure aux autres, elle usait avec adresse de l’intelligence que lui avait offerte ses parents… Cadeau précieux et rare.


« Effectivement, je ne pense pas que cette lecture soit très… Instructive. Néanmoins, elle peut être attrayante pour qui cherche à se détacher d’un quotidien pénible ou ennuyeux. »

Petite moue craquante, témoignage de la crainte d’en avoir trop dit. Après tout, elle ignorait tout de lui et il n’était pas bon de se permettre de mauvais commentaires lorsque l’on ne sait rien de l’autre… Se faire frapper ne faisait pas parti de ses nombreux projets… Mais elle devait convenir qu’être ici n’en faisait pas non plus parti. Ce n’était qu’un léger détour qu’elle se devait d’accomplir pour pouvoir ensuite repartir. Il serait très certainement long et ennuyeux, mais aux yeux de la loi, il était, apparemment, nécessaire.
Elle cligna des yeux, rougissant légèrement, hésitant à poser une question qui la tourmentait depuis quelques secondes.


« Qui êtes-vous ? Vous me semblez trop âgé pour faire parti des détenus… »

Elle baissa aussitôt les yeux vers son livre, faisant mine de replonger dans sa lecture pour ne pas avoir à affronter le regard de son interlocuteur. Gentille demoiselle timide et candide. Son choix n’était dû au hasard. Pour bien interpréter un rôle, la meilleure façon est encore de se persuader que tout est vrai, que rien n’est tiré d’un mensonge éhonté et banal. Depuis tout ce temps, Eden l’avait parfaitement compris et elle était persuadée en son for intérieur d’être vraiment une demoiselle respectable et honnête… Dommage qu’elle fut si hypocrite.
Si elle n’avait pas une si grande aversion pour la race humaine, peut-être qu’elle aurait pu devenir quelqu’un de différent… Mais on ne change pas sa nature profonde. Les chercheurs rêvaient de ne garder que le meilleur dans un embryon et l’étique les en empêchait. Eden rêvait d’être parfaite, mais la perfection n’était accessible à personne. C’était dommage, mais chacun s’en contentait et personne ne venait pleurer, revendiquant plus de droit que les autres.
Aussi ne se plaindrait-elle pas de son séjour à High Creek’s Jail. Elle était fermement ancrée sur ses positions : rester elle-même, passer son chemin et reprendre sa vie comme avant. Sans que rien ne change.

Son hypocrisie lui plaisait, tout autant que berner les gens. Il était tellement désopilant d’entendre les autres dirent du bien de soi en ayant pour seule base de copieux mensonges.

Hypocrite ? Oui, assurément. Misanthrope ? A doses très légères. Ange tout droit descendu du jardin d’Eden ? Certainement pas.
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MessageSujet: Re: Candide [PV]   Candide [PV] Icon_minitimeMar 10 Fév - 0:27

Mr. H. avait compris que la jeune fille se payait sa tête. Oh, peut-être pas volontairement, mais sa volonté à vouloir dissimuler ce qu’elle était réellement l’amusait. Elle devait ignorer qui il était. La plupart des détenus commentaient la même erreur. Ils se croyaient face à un Gardien, s’amusaient à tester les limites de sa tolérance, jusqu’à ce qu’ils s’aperçoivent finalement qu’ils avaient sans doute commis la plus grosse erreur de tout leur séjour à High Creek. Plutôt que de dévoiler tout de suite sa véritable identité, Mr. H. décida de jouer le jeu. Il ouvrit sa bande dessinée à la première page, où l’homme en collants noirs planait élégamment au-dessus d’une ville imaginaire, et croisa les jambes avec une certaine attitude théâtrale.

Je m’appelle Roslyn, dit-il.

Personne ne connaissait le véritable nom de Mr. H., et pour cause ! Il avait hérité de son père le nom de famille le plus ridicule qui fût ; de sa mère, il tenait un prénom de fleur. De l’un et l’autre, nul ne savait rien, mais il s’amusait à déformer son prénom aussi souvent que possible. Rose, Roslyn, Tulip, Orchid, Lily, tout y passait, mais jamais son véritable nom. Il avait haï sa mère dès qu’il avait été en âge de comprendre le ridicule de la situation, et tout autant son père. À présent, mieux valait se contenter de Mr. H.
Quoi, vous espériez vraiment une histoire plus sombre ?
C’était hélas la triste vérité. Mr. H. avait un nom plus horrible à supporter que celui de n’importe qui d’autre : telle était la raison pour laquelle il se cachait derrière une unique initiale. Néanmoins, les Prisonniers ignoraient cela. Tous pensaient que Mr. H. se faisait appeler ainsi pour dissimuler son véritable nom, celui d’un notable trop important pour dévoiler sa véritable identité, ou simplement parce que faire planer le mystère autour de son personnage l’excitait au plus haut point. Tout était un peu vrai. Mais c’était surtout pour préserver son honneur…
Il se contenta donc de sourire après cette énième déformation de son identité, attendant d’entendre un nouvel éclat de rire de la part de la jeune fille. Ce sourire avait quelque chose d’étrange, à la fois sournois et doucereux. Il avait hâte de voir la suite. Joueraient-ils au jeu du chat et de la souris ? Cela s’annonçait plus subtil, plus hypocrite qu’avec Fox, mais cela pouvait être tout aussi amusant. Mr. H. tourna la première page, après avoir appris que l’homme chauve-souris se nommait Batman et qu’il veillait à la tranquillité des habitants de Gotham City, capitale du crime – il devait vraiment mal faire son travail, si c’était toujours la capitale du crime malgré ses interventions.

Mon quotidien n’a rien de particulièrement ennuyeux, Miss Eden Northen.

Il sourit. Cela lui était revenu lorsqu’elle avait annoncé son prénom. Eden Northen. Une jeune fille qui n’avait pas hésité à sacrifier son amie pour sauver sa peau. Par peur ? D’après les conclusions du jugement, non. Elle avait fait preuve d’un cynisme et d’un détachement pour le moins stupéfiant. Eden Northen… Aurait-elle la capacité déductive qu’il lui soupçonnait pour comprendre qui il était, et qu’il mentait effrontément sur son prénom ?

Au contraire. Je dirais même que mes journées sont plutôt chargées. Peut-être qu’une telle lecture me détendra.

Il n’était absolument pas tendu. Il n’avait juste pas la moindre idée de ce qu’il pouvait bien lire. Et puis, apprendre que Bruce Wayne, après avoir perdu ses parents dans un crime odieux, avait choisi de combattre le crime… n’était-ce pas fascinant ? Il lut une nouvelle page, se surprenant à apprécier la façon plutôt sombre et violente avec laquelle le mystérieux Batman combattait tous ceux qui ne respectaient pas la loi. N’avait-il pas un petit côté Batman, lui-même ? Il punissait les délinquants en leur faisant peur, en les torturant jusqu’à ce qu’ils finissent par le supplier, par promettre de ne plus jamais faire de mal à quiconque. Leur seule différence était que Mr. H. s’habillait de blanc et que Batman semblait préférer le noir.
Il releva le nez après quelques secondes de silence, puis croisa les mains sur la bande dessinée, s’interrompant au beau milieu d’une scène épique entre le justicier masqué et une femme habillée de cuir qui se prenait pour un chat. Les super héros n’avaient décidément pas toute leur tête : ils semblaient tous se prendre pour des animaux improbables – qui aurait eu l’idée de se prendre pour une chauve-souris, vraiment ?

Alors, Miss Northen, comment trouvez-vous votre séjour à High Creek ? Les rudiments de la discipline que les Gardiens tentent de vous inculquer commencent-ils à entrer dans votre tête ?

Nouveau sourire, ironique, mesquin, narquois. Répondrait-elle, ou l'ignorerait-elle ? Comprendrait-elle seulement à qui elle avait affaire ?
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Eden
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MessageSujet: Re: Candide [PV]   Candide [PV] Icon_minitimeMar 10 Fév - 1:17

Le souvenir d’Helen passa furtivement dans son esprit, allant se perdre dans les méandres de l’oubli. Cette petite l’avait conduite tout droit dans ce trou perdu où elle moisissait en attendant qu’on daigne bien la libérer. Devait-elle envisager une miraculeuse évasion pour retrouver sa liberté et aller violer une seconde fois son esclave pour lui faire comprendre qu’il était mauvais de la prendre pour une imbécile ? Mauvaise idée. Ce n’était rien de plus qu’un fantasme pour passer le temps, une ombre fugace qu’elle entretenait avec ardeur dans le but de déchaîner sa colère lorsque celle-ci s’accumulait en surplus dans son cerveau, l’encombrant de ses miasmes repoussants.
Elle savait très bien qu’il n’était pas dans son intérêt de tenter de s’échapper et le mieux était encore de ne pas faire de vagues. Elle éviterait ainsi une punition – et celles de l’établissement devaient être douloureuses pour que les autres détenus ne veuillent pas lui en parler – et n’attireraient l’attention de personne. Avec un peu de chance, peut-être accepterait-on de tirer un trait sur cette affaire et elle n’aurait pas un casier judiciaire à se traîner derrière elle, tel un poids mort, pour le restant de sa vie ? Peu probable, mais il était toujours beau et merveilleux de rêver.

Roslyn, hein ? Ce mensonge odieux la fit légèrement sourire, mais savoir que quelqu’un jouait au même niveau qu’elle… Elle avait de quoi être jalouse. Surtout que celui-ci devait avoir derrière lui des années d’expérience alors qu’elle ne bénéficiait tout au plus que de trois ou quatre années de mensonges. Cette injustice lui apparaissait clairement, mais elle se retint la moindre remarque.
Dès lors, elle comprit que le plus ardu de la conversation serait de déceler le mensonge de la vérité pour en tirer le meilleur parti. Un jeu d’esprit ? Rien ne pourrait lui faire plus plaisir. Son image avait déjà dû se détériorer et elle ne devait avoir aucun crédit auprès de cet homme qui, à priori, réfutait à lui révéler son identité.
Ce n’est pas pour autant qu’elle l’abandonna, convaincue qu’à force de persuasion et de l’entretien d’une idée, même les esprits les plus récalcitrants étaient aptes à déformer la réalité pour l’adapter à ses besoins. Ce subtil changement pouvait faire toute la différence.

Elle se laissa aller contre son support, ses jambes s’engourdissant tant son équilibre était instable. L’une d’elle se détacha de son acolyte pour pendre dans le vide, brisant sa position en tailleur qu’elle conservait et une lueur interrogatrice brilla l’espace de quelques micros secondes dans son regard lorsqu’elle entendit son nom au complet. Eden Northen. Dans la bouche d’un inconnu, même son nom lui paraissait étranger, comme s’il n’était pas vraiment en sa possession.
Elle se savait fichée, petit dossier perdu parmi ceux des autres détenus, mais elle doutait que n’importe qui eut accès à ceux-ci… Et elle doutait encore plus que les gardiens s’amusent à fureter parmi les recensés pour découvrir les frasques de chacun… Ou, même si c’était le cas, il devait leur être difficile de reconnaître un détenu à son simple prénom.
Cette absence d’hésitation lorsqu’il le prononça brouilla l’image de gardien qu’elle se faisait de lui. S’il apparaissait toujours comme tel, l’idée était plus terne, moins vive, moins… Reluisante. Elle n’osa cependant pas porter ses soupçons ailleurs, attendant d’en découvrir plus pour finir de se faire une idée sur ce fameux Roslyn. Malgré tous ses doutes, ce dernier n’en restait pas moins quelqu’un à l’air sympathique dans son esprit et ses mensonges ne suffiraient pas à faire en sorte qu’Eden en ait une mauvaise opinion… Têtue la gamine !

Elle n’écouta que d’une oreille distraite la suite de ses paroles, absorbée une fois de plus par Candide et ses mésaventures, s’imaginant l’horreur de ce petit poussin lorsque son très cher philosophe fut pendu et que lui-même fut fessé. Le conte en lui-même était divertissant, le héro découvrant au fil des aventures la dure réalité dont l’avait protégé le château de Thunder-ten-tronckh. Rien à voir avec « Roslyn » contredisant ses propos pour lui assurer que son quotidien n’avait rien d’ennuyeux.
Il était donc un homme très occupé ? Elle sourit légèrement. Être occupé ne signifiait pas grand chose, mais les hautes fonctions dévoraient le plus de temps chez un individu et elle interpréta sa contradiction comme un aveu. Mouais. Elle n’avait pas encore d’idée bien arrêtée et ce fait la dérangeait un peu. Il était en effet frustrant de savoir que quelqu’un connaît votre nom et prénom, alors que vous êtes dans l’incapacité de placer vous-même au moins l’un des deux sur un visage totalement inconnu.
Elle devina ses questions à cette intonation montante si commune à ces dernières et prêta une nouvelle fois son attention à celui qui prétendait honteusement se dénommer Roslyn.


« Je n’ai, pour l’instant, pas eu à me confronter aux gardiens pour des problèmes de discipline… »

Cette simple évocation paraissait l’effrayer au plus haut point (qu’il était aisé de simplement paraître !) et elle déforma ses traits de manière à ce que son expression en dise long sur ses probables pensées : elle ne désirait pas parler de punitions ou autres horreurs en tout genre, sujet sur lequel nul ne souhaitait s’attarder.

« Je m'évertue à être aussi "sage" que possible... Mais je trouve qu’ils sont eux-mêmes un parfait exemple de discipline… Leur comportement laisse facilement envisager les choses à faire et à ne pas faire. »

… Comme mentir par exemple ? Fière de sa réponse, elle ne prit pas la peine de relever ses sous-entendus par un nouveau sourire, se contentant d’afficher une mine confiante. Ses prunelles résolues étaient à même de faire croire à n’importe qui que jamais elle n’oserait déplaire à ses si talentueux geôliers… N’importe qui hormis ce Roslyn qui lui résistait…
Elle n’allait pas se plaindre. Pour une fois qu’elle rencontrait un adversaire qu’elle jugeait à la hauteur et dont l’intelligence la satisfaisait ! C’était rarissime de nos jours les individus de cette envergure… Surtout quand ils la questionnaient sur son séjour en centre de redressement… Adorable directeur.
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Mr. H.
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MessageSujet: Re: Candide [PV]   Candide [PV] Icon_minitimeMar 10 Fév - 12:53

Mr. H. était particulièrement fier de ses Gardiens. Si certains étaient venus à High Creek chercher du travail, la plupart étaient issus du cœur même de la prison, anciens Prisonniers qui avaient fini par saisir l'importance de la discipline. Pour certains, il avait fallu travailler dur. L'accession au rang de favori du directeur n'était pas aisée – bien que d'autres s'en sortissent plutôt bien. En général, cela se faisait lorsque Mr. H. décelait enfin chez ses protégés des comportements curieux et notables : refus de tout désordre, punition donnée aux codétenus qui ne respectaient pas le règlement... Cela allait parfois même jusqu'à apporter son aide aux Gardiens lors d'une séance de torture d'un Prisonnier particulièrement indiscipliné. Mr. H. attendait le moindre signe précurseur pour planter la graine dans leur esprit et attendre qu'elle veuille bien germer. Tout n'était qu'une question de patience, et à ce jeu, Mr. H. était très fort.
Il se plongea un peu plus dans la lecture finalement passionnante des aventures du héros vengeur, non sans garder un œil sur la jeune fille. Alors, avait-elle fini par deviner qu'elle n'avait pas un Gardien en face d'elle ? Peut-être que oui... Ou peut-être que non. Elle semblait se délecter de la situation, et Mr. H. devait avouer qu'il y prenait lui-même du plaisir. Passer du temps dans une bibliothèque à discuter n'était-il pas plus passionnant que torturer un adolescent...? Peut-être pas, en fait. Mais cela avait ses charmes.

Leur comportement ? De quoi donc parlez-vous, Miss Northen ? De leur faculté à remettre les déviants dans le droit chemin ? Il semblerait que le directeur leur fasse confiance pour cela.

Le directeur, oui. Parlons-en, du directeur. Mr. H. adorait écouter les ragots que les Prisonniers colportaient sur sa personne. Son histoire préférée était celle que le mystérieux directeur n'était en réalité qu'un mensonge gros comme High Creek tout entier, qu'il n'existait pas plus qu'un certain héros vêtu de noir et qu'il n'y avait, en réalité, personne à la tête de la prison. Cette hypothèse avait toujours fait beaucoup rire Mr. H. Quand les Prisonniers se rendaient compte qu'ils avaient eu tort sur toute la ligne, leur hilarité disparaissait bien vite...
Il tourna une page, apprenant non sans effroi que Batman allait probablement périr des mains de la sublime Catwoman. Eden semblait sûre d'elle. Elle fixait sur lui un regard plein d'assurance, comme si sa victoire était évidente malgré l'affrontement serein qu'ils engageaient l'un contre l'autre. Mr. H. n'avait pas besoin de dresser le bouclier, ni de s'énerver – il ne sortait de toute façon jamais de ses gonds – pour savoir qu'il gagnerait finalement. Il gagnait toujours. N'était-il pas le directeur de High Creek ? Nul ne lui résistait. Du moins, nul ne lui avait résisté jusqu'à ce jour. Elle ne serait pas la première à le faire ; Mr. H. ne le permettrait pas. Et de toute façon, si on lui résistait, c'était une attitude de rébellion qu'il ne pouvait tolérer.
De nouveau, il leva le nez de sa bande dessinée, qu'il avait déjà envie de jeter aux ordures. Il faudrait penser à brûler ce rayon qui ne servait à rien. Ce n'était pas en lisant de telles inepties que les jeunes gens de High Creek reviendraient sur le droit chemin. Des lectures plus saines seraient bien plus profitables aux Prisonniers que ce ramassis d'idioties pour invertébrés. Avisant une poubelle proche, il y jeta la bande dessinée puis reporta son attention sur Eden.

Être sage vous évitera bien des désagréments, reprit-il, posant ses mains sur ses genoux croisés. Il est fou de constater à quel point de nombreux problèmes pourraient être évités si les gens se comportaient de manière civilisée. Un peu d'ordre et de discipline n'a jamais fait de mal, ne croyez-vous pas ?

Il se plaisait toujours à constater à quel point les adolescents perturbés qu'on lui confiait refusaient avec obstination toute forme d'obéissance. C'en était presque viscéral. Comme si, à un moment de leur vie, il avait été absolument nécessaire et vital de refuser tout ordre, et qu'ils considérassent à présent que leur salut dépendait de cette attitude réfractaire. Par l'oeuvre de ses Gardiens, Mr. H. s'évertuait juste à leur prouver qu'ils avaient tort et que le salut ne se trouvait que dans la discipline.
Eden partagerait-elle son point de vue un jour ? Son attitude actuelle ne démontrait aucune envie de se plier à des règles autres que celles qu'elle aurait établies. Mr. H. réprouvait ce comportement. Mais elle changerait. Après quelques semaines, quelques mois, elle commencerait à comprendre que tout résistance était source de douleurs, et que sa vision du monde n'était, en définitive, pas la bonne. Persuadé qu'il était d'avoir raison, obsédé par l'idée de tenue et de rigidité, alors qu'il était sans doute le premier à transgresser toutes les règles qu'il prônait, Mr. H. ne se satisfaisait pas encore des excellents résultats obtenus par High Creek's Jail. La popularité du centre de redressement auprès des extérieurs n'était plus à faire, le corps judiciaire était unanime : nul autre maison de correction n'obtenait des résultats aussi probants.

Qu'en pensez-vous, Miss Northen ? demanda-t-il, concluant ainsi sa dernière phrase, et par-là même sa myriade de pensées.
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MessageSujet: Re: Candide [PV]   Candide [PV] Icon_minitimeMar 10 Fév - 22:22

« En plus de cette faculté, j’ajouterais que leur obéissance aveugle envers un homme dont personne n’ose parler laisse penser qu’ils sont un parfait modèle pour tous les réfractaires peuplant High Creek. »

Ses traits s’illuminèrent à la mention du directeur. Elle l’avait en face d’elle, cette légende qui circulait parmi les détenus. Les rares qui avaient eu l’occasion de le rencontrer n’avait jamais formulé le souhait de le revoir… Son bureau était à lui seul un recueil de ragots et de rumeurs qui balayaient sans fin chacune des cellules.
Quiconque entrait dans l’établissement entendait parler de ce mystérieux homme dans les minutes qui suivaient son incarcération. Tous en parlaient, mais nul n’osait formuler à haut voix l’initiale par laquelle il avait demandé à être appelé. Pourquoi d’ailleurs ? Que représentait ce « H » ? A priori, ça n’avait rien à voir avec Roslyn, ce prénom ne comportant pas cette lettre, mais elle ne tarderait pas à trouver un lien.
Cette énigme faisait travailler avec délice son cerveau qui s’engourdissait de toutes ces conversations de bas étage recélant de commentaire sur la nourriture de la cantine, le confort des cellules, les jérémiades de certains quant à leur habit et enfin, le sujet le plus prisé, Mr H. Personne ne cherchait à découvrir la signification de cette initiale… Ca n’intriguait donc pas qu’un homme intègre ne daigne pas décliner son identité et soit même obligé de s’en inventer une autre rappelant avec horreur les affres immondes des méchants de dessins animés ?
Pas de quoi sauter au plafond, certes, mais il était toujours intéressant de découvrir la cause qui entraîne indéniablement la conséquence. Ici, elle avait la conséquence… Restait à découvrir la cause.


« Quant au directeur… Beaucoup ne croit qu’à une légende. Certains m’ont même affirmé qu’il ne s’agissait que d’un moyen de pression pour faire peur aux adolescents… Une sorte de Croquemitaine pour détenus. »

Néanmoins, il était assuré que le directeur était bel et bien réel puisqu’elle l’avait en face d’elle. Elle était aussi excitée que l’aurait pu l’être une groupie d’un quelconque chanteur face à son idole… Après tout, depuis le temps que les messes basses lui parvenaient en vagues inégales, tantôt vraies, tantôt fausses, son seul désir avait été de rencontrer ce fameux monstre qui croquaient les détenus durant leur sommeil… Rien à voir avec l’homme qu’elle avait devant elle et qui lisait négligemment une bande dessinée narrant les aventures de l’homme chauve-souris dans le simple but de se divertir…
Les images colportées étaient toutes plus extravagantes les unes que les autres. Homme de deux mètres de haut, yeux rouges flamboyants, aspect méphistophélique et dents aiguisées comme des lames de rasoirs : les adolescents regardaient trop la télévision et prenaient peur pour des broutilles n’ayant pas lieu d’être. Mis à part un individu ayant la trentaine, à la silhouette fine et au nom inconnu, elle ne décelait rien chez lui qui puisse l’inquiéter en quoi que ce soit. Pourquoi le directeur d’un centre de redressement devait-il nécessairement être maléfique et éclater d’un rire sardonique à chaque fin de phrase ? Pourquoi ne pas lui rajouter un chat à caresser sans fin et une dent en or pour pallier les quelques manques à ce tableau si typique et commun ?

Soupirant, elle s’octroya une pause, fatiguée de ses nuits agitées. Le marchand de sable avait refusé de venir la visiter ces derniers temps et elle s’en tirait avec quelques cernes sous les yeux. Rien de bien méchant : il lui fallait un temps d’adaptation, son lit et l’odeur des draps n’étant plus les mêmes. Si cela avait été possible, Eden aurait bien volontiers ramené son propre lit ainsi que ses affaires, mais il était évident que ce luxe ne lui serait pas accordé. Tant bien que mal, elle se contentait de ce que sa conduite avait à lui offrir, à savoir une co-détenue et des barreaux pour seul paysage.
Un froissement de feuilles la tira de son engourdissement et elle vit Batman finir sa vie dans la poubelle la plus proche ce qui lui arracha un léger rire.


« Je ne pense pas qu’il méritait un tel sort. »

Murmura-t-elle, plus pour elle-même que pour le directeur.
Consciente que désormais rien n’occupait son très cher interlocuteur, elle se doutait que son attention se porterait sur elle. Levant les yeux, elle délaissa Candide qui venait d’abandonner sa tendre Cunégonde aux mains de Don Fernando d’Ibaraa, y Figueora, y Mascarenes, y Lampourdos, y Souza (un nom bien long à retenir) pour se plonger dans l’utilité de la discipline. Elle ne montra pas tout de suite son désaccord avec cette question qui sonnait plus comme une affirmation venant de la bouche du directeur, mais réfuta à approuver un concept contre lequel elle était entièrement contre. L’ordre était l’une des rares choses sur laquelle Eden avait su trancher.
Il était tout noir.


« Il faut des lois pour maintenir la cohésion d’une société. »

Ce fut là sa seule réponse. Mentir la blesserait dans son ego, mais elle ne pouvait pas non plus désapprouver totalement les propos d’un homme qui avait la main mise sur sa santé mentale. S’il décidait qu’il fallait lui inculquer de nouvelles bases, probablement que son esprit en pâtirait… Autant que son physique. Elle avait tout à perdre à tomber en disgrâce auprès de cet homme. Du moins, elle aurait tout à perdre tant qu’elle serait prisonnière de High Creek’s Jail.
Si elle se refusait à changer, elle ne pouvait cependant pas ignorer le règne animal la plaçait, pour l’instant, au plus bas niveau de l’échelle. Avec un peu de chance, elle réussirait à faire en sorte que Mr. H. l’apprécie et elle n’aurait pas à se démener pour ne pas entrer dans la liste noire des détenus.


« Les malheurs particuliers font le bien général ; de sorte que plus il y a de malheurs particuliers, et plus tout est bien. »

Lut-elle, revenant en arrière dans son livre. Elle releva la tête, plantant son regard dans celui du directeur, n’oubliant pas de rester douce et chaleureuse.

« Pensez-vous que Pangloss ait raison ? »

Demanda-t-elle, feuilletant avec ennui les pages de son livre.

« L’être humain est composé en majeur parti d’égoïsme. Ceux désirant se démarquer diront que le bien de tous compte avant notre propre bonheur, mais chacun sait que l’on préfère de loin son bien-être à celui d’une communauté. »

Elle ferma le livre d’un claquement sec.

« Qu’en pensez-vous, Roslyn ? »

Décrypter la façon de penser du directeur tant qu’elle l’avait sous la main. Analyser. Et en tirer le meilleur parti. C’était bien le jeu le plus intéressant auquel il lui avait été prié de participer... Et c'est avec délice qu'elle retournait sa question au directeur.
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MessageSujet: Re: Candide [PV]   Candide [PV] Icon_minitimeMar 10 Fév - 23:39

Mr. H. avait éclaté de rire. Un croquemitaine ? La comparaison était des plus cocasses. Les Prisonniers l’imaginaient-ils réellement comme un mangeurs d’enfants, un monstre qui rampait la nuit hors de sa cachette pour venir grignoter les doigts des Prisonniers dans leur lit ? Ce n’était pas tout à fait faux. Juste une extrapolation de la vérité. Il aimait la nuit, oui, parce que tout – ou presque – était calme. Les épais murs de High Creek’s Jail étouffaient les hurlements ; aucun son n’était audible à moins de se trouver à l’endroit où les cauchemars prenaient vie. Mr. H. descendait alors de sa tour d’ivoire pour parcourir l’aile abandonnée, se délectant des trouvailles qu’il pouvait y faire. Ceux qui ne respectaient pas le couvre-feu et qui voyaient alors sa chandelle solitaire se promener dans les ruines noircies devaient le prendre pour un fantôme… Un esprit, né de la mort d’un domestique lors de l’incendie qui avait ravagé la vaste demeure du comte de High Creek.
Mr. H. aimait tout particulièrement l’aile abandonnée. Elle regorgeait de trésors insoupçonnés ; la décoration de son bureau en avait profité, d’ailleurs. Il avait rapporté des livres épargnés par miracle, des candélabres, des tableaux, des tissus… Autant de merveilles qu’il avait cachées dans ses appartements privés. Matérialiste, Mr. H. ? Pas vraiment. Mais après tout, il était le directeur, n’est-ce pas ? Il avait droit à un certain confort.
Toujours est-il que l’idée d’être vu comme un monstre de conte pour enfants l’amusait au plus au point. Il n’avait qu’à s’imaginer les Prisonniers tremblant sous leurs couvertures pour qu’un sourire mutin montât à ses lèvres.

Ma foi, les rumeurs sont toujours très exagérées, n’est-ce pas ? Que pensez-vous réellement de moi ?

Elle avait compris, bien sûr. Il n’y avait pas besoin d’être un génie pour le remarquer – ce qui ne voulait pas dire que Mr. H. n’était pas intelligent, loin de là. Eden était une merveilleuse partenaire de conversation. Oh, bien entendu, elle n’arrivait pas encore à la hauteur de Fox dans l’estime de Mr. H., mais si de tels échanges se répétaient à l’avenir, nul doute qu’ils y trouveraient tous les deux leur content. Bien entendu, cela signifiait aussi et surtout pour le directeur de lui insuffler ses idées. Petit à petit… Mr. H. était patient, nous l’avons déjà vu précédemment. Il avait tout son temps.
Il sourit à la réflexion murmurée d’Eden. Non, Batman n’avait sûrement pas mérité ça. Mais ça n’avait aucun intérêt pour ce qu’il souhaitait inculquer à ses Prisonniers. Non. La seule méthode efficace pour leur apprendre la discipline et l’ordre, c’était, hélas, la seule et unique chose qu’ils connaissaient : la violence.
Mr. H. était sans nul doute hypocrite à ce sujet. La violence, il aimait cela, en réalité. Malgré tout ce qu’il pouvait dire ou penser, il ne pouvait s’en détacher. Aurait-il créé High Creek’s Jail pour assouvir ses penchants pervers ? Non, bien sûr que non. Il savait quel était son but, et il ne doutait pas du bien fondé de ses actes. On reconnaissait la valeur et l’utilité de son établissement. High Creek’s Jail était citée en exemple et les juges faisaient toujours appel à lui pour savoir s’il disposait d’une place dans son établissement pour accueillir un nouveau Prisonnier.

Les lois n’ont aucun intérêt à être édictées si elles ne sont pas suivies, fit-il remarquer, son menton fin appuyé dans sa main. Néanmoins je ne suis pas d’accord avec Pangloss. Les malheurs ne sont pas nécessaires à la société. Tout pourrait très bien aller, si chacun restait là où il doit être. Nul besoin de malheurs.

Ordre, toujours. Toujours. Éternellement, de l’ordre, du calme.

Je ne serai pas hypocrite, Miss Northen. Je cherche moi aussi mon propre bonheur – sur ce point, je suis même particulièrement égoïste. Et vous ? Que cherchez-vous ?

Son regard sombre s’attarda sur la jeune fille. Que cherchait-elle, elle ? La liberté ? Aucune contrainte ? La paix ? Son propre profit ? C’était en général tout ce que voulaient les Prisonniers. Être libres, riches et sans problèmes. Malheureusement, ces trois termes étaient antagonistes par nature. Impossible d’être l’un et d’être l’autre en même temps. Alors les trois… Que cherchait-elle vraiment ? Pour la première fois, sans doute, Mr. H. s’intéressait à ce que l’un de ses pensionnaires voulait. Par pure curiosité, bien entendu.
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MessageSujet: Re: Candide [PV]   Candide [PV] Icon_minitimeMer 11 Fév - 21:14

« Moi ». Moi, moi, moi… Cette réponse l’enthousiasma au plus haut point. Il lui révélait son identité avant même qu’elle n’ait eu le temps de lui faire comprendre que son petit jeu ne fonctionnait plus. Elle pouvait, dès lors, passer du rang de vulgaire gardien répondant au doux nom de Roslyn à celui du mystérieux directeur arborant audacieusement son initiale sans se départir de son ton douceâtre.
Elle se permit un franc sourire alors qu’elle abandonnait définitivement Candide auquel elle ne trouvait plus aucun intérêt pour se concentrer sur la personne la plus influente de cette établissement. Son avenir se jouait durant ces quelques précieuses minutes. Si elle parvenait à donner une assez bonne impression d’elle-même, peut-être bénéficierait-elle d’une remise de peine et qu’elle pourrait sortir de cet enfer d’ici quelques mois sans avoir eu droit à l’une des punitions - considérées comme miraculeuses - d’High Creek. Elle se prit à rêver pendant quelques secondes, conservant son masque de froideur et laissant éclater sa joie avant de se concentrer pleinement sur l’individu. Un seul faux pas et tout était fichu. Tout serait réduit à néant.


« Ce que je pense de vous n’a pas d’importance. Ce qui l’est, en revanche, c’est l’image générale que tous en tire. Que cherchez-vous ? Effrayer ? Vous faire respecter ? … Ou trouvez-vous simplement amusant de laisser les détenus tirer leurs propres conclusions pour ensuite vous révéler à eux et le leur faire regretter ? »

La plaisanterie suintait de ses paroles. Elle pensait réellement ce qu’elle disait, mais elle préférait garder une distance entre elle et les mots qu’elle prononçait, les mettant à un niveau bien plus bas qu’ils ne le méritaient, au risque de froisser son interlocuteur. Entrer dans les petits papiers du légendaire directeur était le rêve commun de tous les pensionnaires d’High Creek’s Jail. Le rencontrer alors que l’on vient à peine d’y entrer relève plus du miracle que d’un simple coup de chance.
Elle n’était pas idiote. Cette rencontre déciderait de tout. Tout ce qui la concernerait à l’avenir et tout ce qui concernerait ceux qui l’entouraient. Si elle était mise sur le banc de touche, les autres détenus la dévoreraient avant même qu’elle n’ait pu entamer la course aux honneurs. Elle avait déjà vu le carnage que cette compétition pouvait causer, la peur qui coulait dans les veines de chacun et le regard terrifié que ce jeune homme avait lancé à tous.
Il avait été l’une des victimes du centre de redressement. Il était celui qui mangeait seul, que l’on allait voir pour se débarrasser de toute sa rancœur et de sa haine envers la société… Ce genre d’individu existait partout, que ce soit dans les salles de classe ou dans un centre étroitement surveillé… Il y en avait toujours. Prendre sa suite ne l’intéressait pas.

Elle repoussa son livre d’un doigt, jetant un coup d’œil à la bibliothèque à la recherche d’une autre lecture. Quelque chose qui pourrait la tenir concentrer pour plusieurs heures. Elle n’avait pas le droit d’emporter des livres et possédait les siens, enfermés dans sa cellule… Mais lire tous les jours les mêmes choses pouvait devenir lassant et ses maigres temps libres devaient être mis à profit pour découvrir d’autres ouvrages.


« Ce que je cherche… ? »

Que cherchait-elle ? Rien. Elle ne voulait pas suivre une route prédéfinie par ses désirs ou sa colère. Elle se refusait à suivre ses rêves ou ses sentiments, usant de son cerveau et se détournant de ce que pouvait lui hurler son cœur. Les sentiments n’avaient pas leur place dans sa vie. S’attacher aux autres, sourire avec gaieté, rire sincèrement, aimer une autre personne… Tout cela était prohibé, erroné. Si l’on désirait s’en tirer, il fallait avant tout savoir tirer profit de chaque situation sans se laisser influencer par de vulgaire vagues à l’âme. Se borner à vouloir suivre sa convoitise la conduirait tout droit au précipice.
« Marche ! marche ! » avait dit Jacques Bénigne Bossuet dans son sermon pour le jour de Pâques. Elle n’était pas une marionnette sans cervelle dont les fils étaient tirés par un autre qu’elle. Elle n’avait rien d’un pantin que l’on peut apprivoiser par quelques tours de passe-passe pour appâter la galerie… Et ces gardiens qui l’observaient froidement avaient tout de ce qu’elle voulait à tout prix éviter.
Alors non. Jamais elle ne suivrait la politique d’High Creek’s Jail parce que jamais elle ne pourrait l’accepter. Ses propres règles le lui interdisaient. Le directeur ne deviendrait jamais son marionnettiste.


« Je cherche seulement à m’en tenir au rôle qu’on m’a confié. »

Être l’aînée. Donner l’exemple, protéger de son corps qui se devait d’être aussi dur que le marbre et résister à toutes les intempéries. Même si sa petite sœur n’était plus qu’un vague souvenir, elle continuerait à être l’aînée, celle que l’on pousse vers le haut pour la voir atteindre l’excellence. Elle voulait accéder au prestige pour en tirer la gloire… Que cela fasse partie de ce qu’elle voulait réellement n’était pas important. Ses opinions passaient après.

Ses yeux se tournèrent vers les rayons de la bibliothèque. Quel livre pourrait-elle bien dévorer. Elle eut un léger sourire. Un qui lui rappellerait Candide par la traduction de son titre.
Elle se leva en s’excusant, sa chaise raclant le sol. Le moindre de ses mouvements était analysé. Levant les yeux au ciel, elle s’approcha de l’objet de sa convoitise. Sa main se tendit et attrapa Le meilleur des mondes de Huxley.
Son corps se mouvait en silence et elle rejoignit sa place initiale, posant son nouveau livre.


« Candide m’ennuyait. »

Déclara-t-elle simplement, rougissant légèrement pour marquer sa gêne de s'être ainsi détournée d'un livre avant même de l'avoir achevé.

« Et vous ? Qu’est-ce que le bonheur pour vous ? Un monde bien ordonné ? »
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MessageSujet: Re: Candide [PV]   Candide [PV] Icon_minitimeMer 11 Fév - 23:02

Ce qu’il cherchait ? Mr. H. sourit. Pourquoi se cachait-il réellement des Prisonniers ? Il n’avait pas peur d’être vu, et il savait que son absence perpétuelle entraînait les pires rumeurs à son sujet. Il n’avait pas pensé à celle du Croquemitaine, mais surtout à celle que les histoires sur lui étaient très exagérées. Mais cela valait mieux ainsi. Les Prisonniers ne se méfiaient pas de lui lorsqu’ils le rencontraient pour la première fois – exactement comme Eden, d’ailleurs – et cela servait ses intérêts. D’autres Prisonniers, au contraire, prenaient encore plus peur quand ils le voyaient, comme si son apparence cachait une horreur pire que n’importe quel monstre de cauchemar. Mr. H. Sa simple initiale avait le chic pour provoquer des réactions extrêmes.
En réalité, Mr. H. ne se cachait dans son bureau que parce qu’il y était au calme, loin de toute l’agitation des étages inférieurs. Bien entendu, il ne manquait pas de regarder par la fenêtre de son bureau ce qui se passait dans la cour et les jardins, en dessous de lui, mais il préférait se trouver loin de tout bruit. Un peu asocial, sans doute. Beaucoup, en fait. Mais difficile de trouver une compagnie agréable ici. À part Fox, il n’avait jamais trouvé quelqu’un d’assez intéressant pour retenir son attention. Oh, il y avait bien eu une personne, mais… Peu importait.
Eden était d’une compagnie intéressante. Mr. H. commençait à éprouver un certain plaisir à être dans la bibliothèque avec elle. Il décroisa les jambes pour les croiser dans l’autre sens, afin d’accorder un peu de répit à son sang compressé. D’un geste étudié de la main, il remonta ses lunettes sur son nez et écarta en même temps les mèches de cheveux noirs qui retombaient devant ses yeux.

Votre rôle… Votre rôle n’est rien de moins que de devenir une jeune fille raisonnable. Quelqu’un de sensé, de respectable, d’honnête. Cela ne vous plairait-il pas d’être reconnue comme telle, Miss Northen ? Ou préférez-vous que l’on vous considère à jamais comme une délinquante ?

Il avait appuyé sa question d’un léger geste de la main en sa direction. Il n’espérait absolument pas qu’elle se confiât à lui ; en réalité, cela l’aurait même agacé qu’elle le fît. Néanmoins, la légèreté apparente de leur conversation, pourtant bien profonde au demeurant, lui amenait plus de plaisir que la torture ne lui en avait procuré ces derniers temps. Aussi, un sourire sincèrement intéressé aux lèvres, il écoutait ce qu’elle avait à dire.
Lorsqu’elle se leva, il suivit son trajet du regard. Un sourire plus amusé se peignit sur ses lèvres lorsqu’elle revint avec son nouveau livre.
Sa définition du bonheur… Il n’en avait pas. Mr. H. n’avait jamais réellement songé à son propre bonheur. Il n’arrivait même pas à s’imaginer hors de High Creek. C’était peut-être cela, son bonheur. Se sentait-il malheureux ? Non, du tout. Heureux ? Non plus. En fait, il n’avait pas la moindre idée de ce qui pourrait le rendre heureux ? La compagnie des hommes lui était agréable, il aimait la lecture et raffolait des vieilleries. Peut-être devrait-il songer à fréquenter un homme qui possédait une librairie d’occasion… Mais en réalité, il n’avait pas le temps de songer à tout cela.

Aimez-vous donc tant lire ? demanda-t-il, changeant de sujet du tout au tout pour ne pas avoir à inventer une réponse à défaut d’en avoir une. Si ces livres ne vous conviennent pas, j’en ai d’autres, dans mon bureau ?

Une invitation ? Si Eden avait eu l’idée d’accepter, c’est qu’elle le sous-estimait vraiment. Tout le monde à High Creek le lui aurait dit : « ne pénètre pas dans le bureau de Mr. H. ! ». Sinon quoi ? Sinon il te mangerait ? Sinon il te violerait ? Sinon il te torturerait ? Sinon il te tuerait ? Tout était possible. Non, ça n’était pas une invitation, mais juste une nouvelle façon de tester ses capacités de réflexion, sa répartie et son intelligence. Pensait-elle être plus intelligente que lui ? Elle se trompait…
Il se leva à son tour, parcourut rapidement les rayons du regard et saisit un recueil de poèmes de Robert Browning. Voilà qui ajouterait à l’image étrange qu’il véhiculait. Un homme aussi violent, aussi sadique, ne pouvait pas lire de la poésie, c’était impensable.

Un monde ordonné, reprit-il tout à coup, n’est pas ma vision du bonheur. Ce qu’une vision parmi beaucoup d’autres. Quelle serait la vôtre, Miss Northen ? Être libre, hors d’ici ? Être riche ? Être respectée ? Je serais curieux de le savoir…
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MessageSujet: Re: Candide [PV]   Candide [PV] Icon_minitimeJeu 12 Fév - 23:46

La couverture lui renvoyait l’image d’un bébé nouveau-né, enfermé dans une éprouvette et prêt à être conditionné. Cette simple représentation lui arracha un frisson. Le livre lui paraissait prometteur, bien que peu des gens qu’elle avait côtoyés jusqu’alors avaient déclaré aimer l’histoire qu’il refermait. Elle eut un fin sourire, retournant l’ouvrage, le manipulant telle une pierre précieuse, et s’attarda sur le résumé avant de se décider à l’ouvrir pour en explorer le contenu.
La première page lui déplut, mais la suite s’annonçait plus prometteuse. Le premier chapitre à lui seul contenait la manière de conditionner les embryons pour répartir chaque individu en différentes classes : Alphas, Bêtas, Gammas, Epsilons… Ce choix sélectif était vu comme une anticipation dystopique de la part des critiques, mais Eden ne doutait pas qu’il aurait beaucoup plu à ce directeur si maniaque. Un monde où l’ordre régnait parce que chacun avait su trouver son bonheur et n’en demandait pas plus. Les crimes avaient cessé et seule la bonne humeur était permise. En cas de défaillance, le soma était de rigueur, équivalent de la drogue à laquelle on avait soustrait les effets nocifs et qu’il était donc possible de prendre à intervalles réguliers.

Elle leva le nez, détaillant le visage du directeur sur lequel elle n’avait pas pris la peine de s’attarder. L’attention qu’elle lui portait était déjà trop élevée pour quelqu’un comme Eden et elle répugnait d’avoir à graver les traits d’une personne dans sa mémoire. Si le directeur était utile, il n’était cependant pas suffisamment important à ses yeux pour qu’elle prenne la peine de mémoriser la blancheur de sa peau qui contrastait avec la noirceur de ses cheveux.
Peuh ! C’était une simple mesure de précaution.


« Croyez-vous que je sois une mauvaise personne ? »

Demanda-t-elle d’une voix plaintive. De son point de vue, Eden avait tout de la petite fille modèle. Elle n’avait jamais fait quoi que ce soit qui puisse chagriner les autres (hormis ce malencontreux accident) et n’avait jamais demandé à ce que l’on s’intéresse à elle. D’un point de vue médical, elle pouvait facilement être considérée comme misanthrope de part sa colère envers l’être humain, mais jamais elle n’avait témoigné d’une quelconque forme de violence à son égard. Elle s’était simplement contentée de sauver sa peau… Et de donner une bonne leçon à cette Helen par la même occasion, mais cette intention ne pouvait être connue que d’elle-même.
Elle retint un soupir contrarié à l’idée d’être considérée par les autres comme une délinquante. Les préjugés étaient contraignants. Ils pouvaient, d’un battement de cils, compromettre tout un avenir et l’étiquette « adolescente qui sort d’un centre de redressement » la poursuivrait peut-être pour sa vie entière.
A cette pensée, un frémissement remonta le long de sa moelle épinière. Il lui faudrait travailler dur pour pouvoir accéder aux hautes fonctions.

La voix du directeur la tira de ses rêveries, la ramenant dans le monde onirique qu’était la réalité. Pas étonnant que certains aillent jusqu’à imaginer de nouveaux mondes. Celui-ci était pourri. Thomas More avait bien fait de créer son île, au moins un endroit où il pouvait se réfugier à présent.


« Cette invitation est tentante, mais je m’en tiendrai au calme de la bibliothèque. Si vos livres sont si intéressants, accepteriez-vous de les descendre ici ? »

Son visage rayonna tandis que, la bouche en cœur, elle penchait légèrement la tête sur le côté. Son refus n’avait pas été catégorique et elle s’était retint de laisser éclater son rire, un « non » distinct s’enfuyant de ses lèvres gourmandes. Pénétrer le bureau du directeur relevait du suicide pur et simple. Suicide physique. Suicide psychologique. Suicide social. Un suicide à l’état pur, parfait et concret. Jamais elle ne ressortirait de ce bureau et elle le savait… Du moins, jamais celle qu’elle était maintenant n’en ressortirait. Peut-être qu’une autre Eden, conditionnée, franchirait le seuil en sens inverse, jurant sa fidélité à ce Mr. H. et quémandant en pleurant à chaudes larmes un poste de gardienne dans l’établissement. Brr ! Cet avenir n’était ni faste ni glorieux… Bref, il n’était pas pour elle.

Elle le regarda se lever et se saisir d’un recueil de poèmes de Robert Browning. De ses plus célèbres citations, on en tirait aisément « la vérité est en nous, elle ne vient point du dehors ». Elle contenait la seule vérité, la seule chose qui était bonne pour elle et personne ne la ferait changer d’avis. Pas même un homme aussi intelligent que pouvait l’être le directeur.


« Le bonheur ? Je n’ai aucune vision qui s’y rapporte. Le bonheur est une chose bien trop illusoire et éphémère pour qu’on puisse le garder près de soi. Alors pourquoi s’en encombrer ? »

Elle n’était pas une petite fille malheureuse. Elle ne pouvait pas non plus se vanter d’avoir su accéder au bonheur. Ce prix était inestimable et inabordable aussi avait-elle tout simplement abandonné une idée qu’elle savait depuis le début hors de sa portée. Pourquoi se fatiguer pour une chose que, de toute façon, on n’obtiendra jamais ?
Par sa réponse, elle n’avait pas cherché à déclencher la compassion du directeur. Elle exprimait juste un fait. Mais si elle pouvait l’exaspérer en lui faisant croire qu’elle était aussi malheureuse (voir plus) que les pierres, elle prenait ce cadeau avec le plus grand plaisir.


« Croyez-vous que ce monde soit assez sain pour qu’en naisse des individus respectables, monsieur ? »

"Sain". Pour ne pas dire "pourri. Nouveau sourire. Jamais elle ne se détachait de sa bonne humeur quoi qu’il arrive et elle laissait l’insouciance de l’enfance bercer chacune de ses paroles avec délice. Elle aimait savoir qu’elle renvoyait d’elle l’image d’une petite fille n’ayant jamais rien vu et ayant encore tout à découvrir. Une farce… Tout comme cette société.
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MessageSujet: Re: Candide [PV]   Candide [PV] Icon_minitimeSam 14 Fév - 13:48

Mr. H. observait Eden avec l'air mi-amusé mi-agacé de celui qui goûte à un plat qu'il connaît bien. Il avait la très nette sensation qu'elle se moquait de lui, et cette attitude désinvolte et discourtoise lui déplaisait tout à fait. Il ne serait jamais venu à l'idée de quelqu'un de normalement constitué de se conduire de cette façon auprès du premier représentant de l'ordre à High Creek's Jail. Pourtant cette jeune fille se le permettait. Oh, bien sûr, elle ne le faisait pas ouvertement, mais Mr. H. détestait cette façon qu'avaient les Prisonniers de se faire passer pour des innocents, et de le faire avec ce sourire narquois en coin. Bon, il détestait également quand ils se vantaient de leurs méfaits... Pourquoi ne pouvaient-ils simplement pas se contenter d'être honnêtes ?
Il ne laissa rien transparaître de plus, cependant, de ses sentiments, et il haussa les épaules sans répondre tout d'abord à la question d'Eden. Était-elle une mauvaise personne ? Bien évidemment. Mr. H. choisissait ses futurs Prisonniers parmi la liste que lui fournissait le juge pour enfants. Il prenait connaissance de chaque dossier, assistait même parfois au procès, et donnait son aval ou son refus quant à leur placement à High Creek's Jail. Eden Northen avait laissé une certaine Helen être violée et n'avait apparemment rien fait pour l'aider, bien au contraire. Coups et blessures en prime. Devait-il réellement répondre à la question de la jeune fille, sachant tout cela ? Son regard, derrière ses lunettes, indiquait clairement ce qu'il pensait de tout cela. Non, Miss Northen, Mr. H. n'ignorait rien de votre dossier. Inutile, donc, de jouer la carte de l'innocence affichée.

Hélas, mademoiselle, mes livres personnels ne peuvent sortir de mon bureau.

Il n'avait finalement pas répondu à sa première question, se contentant de ce regard lourd de sous-entendus qu'il lui avait adressé. Mieux valait laisser cette question en suspens et embrayer sur un autre sujet. Mieux valait pour elle, s'entend.
Il plongea dans les mystères poétiques de Browning durant quelques secondes, s'imprégnant des vers de l'auteur, avant de relever les yeux vers Eden. Pas de définition du bonheur, hein ? C'était triste. S'il avait dû mettre une raison sur les agissements de ses pensionnaires, Mr. H. aurait sans doute qu'ils n'étaient pas heureux, ou qu'ils prenaient pour du bonheur quelque chose qui n'en était absolument pas. Une telle méprise conduisait bien souvent à des agissements idiots et hors de toute limite raisonnable. Les Gardiens étaient heureux, pour leur part. Ils avaient compris, eux, qu'un monde plus droit et plus correct était la meilleure des choses, et ils oeuvraient pour ça, servant fidèlement leur Directeur. Mr. H. se félicitait du plaisir qu'ils prenaient à punir les déviants. Dans ces moments-là, on voyait clairement qu'ils étaient profondément heureux.
Le monde... Le monde n'était pourri que parce que ses habitants le modelaient à leur image, voilà tout. Et les pensionnaires du château de High Creek en étaient les premiers représentants, de ces habitants malhabiles. Perversions, décadence, délinquance... Ils étaient les premiers artisans du monde dans lequel ils vivaient, et ils n'étaient que des fruits pourris au milieu du panier. Comment s'étonner que le monde soit devenu si laid ?

Je pense que tout le monde est responsable de l'état du monde actuel, dit-il lentement, le regard rivé sur elle pour guetter la moindre de ses réactions. Nous avons tous notre rôle à jouer. Le mien est de remettre dans le droit chemin ceux qui s'en écartent. Si le monde est si laid, Miss Northen, c'est hélas parce que certaines personnes le rendent ainsi.

Par « certaines personnes », il était évident qu'il désignait du doigt ses pensionnaires, les Prisonniers dont il avait choisi de sauver l'âme. C'était son oeuvre à lui, sa façon de contribuer à l'édification d'un nouveau monde. Un monde bien ordonné, bien structuré, exactement comme un homme aussi maniaque que Mr. H. pouvait le rêver. Tous ces jeunes qui pensaient que le monde leur appartenait, qu'ils pouvaient en faire et y faire tout ce qu'ils désiraient, se trompaient lourdement. Il s'évertuait à le leur prouver. Chaque gifle, chaque os brisé, chaque goutte de sang versée, ne servait qu'à cela. Il n'aurait pas eu besoin de faire tout cela, s'il n'y avait eu autant d'adolescents désorientés.

Vous êtes les premiers artisans du monde, reprit-il, rêveur. Pourquoi vous comporter ainsi ? Pourquoi tentez-vous perpétuellement de prendre ce qui ne vous appartient pas, de mettre le monde à feu et à sang ? Vous avez là une merveilleuse occasion de m'expliquer, Miss Northen, ce que je n'ai jamais pu comprendre depuis toutes ces années.

Depuis combien de temps était-il ici ? Nombres d'années avaient passé, en effet, et Mr. H. ne semblait pas avoir changé. Le temps passait pour le monde entier, mais il semblait glisser sur le Directeur et ses Gardiens, comme s'ils étaient protégés de ses effets dévastateurs. Mr. H. avait cessé de compter son âge lorsqu'il avait eu vingt-huit ans, et bien que plusieurs années se fussent écoulées depuis, il n'avait pas changé. Était-ce bien ce qu'on lui avait promis pour son oeuvre ? Oui, il croyait parfois se rappeler les mots du pacte. Mais cela n'avait plus vraiment d'importance.
Il reporta son attention sur Eden et, pour ne pas la braquer contre lui, lui adressa un sourire chaleureux.
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MessageSujet: Re: Candide [PV]   Candide [PV] Icon_minitimeDim 15 Fév - 17:34

« C’est bien dommage. »

Ce fut la sa seule réponse alors qu’elle fuyait le regard du directeur pour le laisser gambader vers les gardiens à l’entrée de la bibliothèque. Elle aurait tellement aimé les voir s’agenouiller devant leur maître suprême, quémandant quelques faveurs qu’ils obtiendraient ou non suivant l’humeur de Mr.H.
Ce centre de redressement prenait des allures de cour. La haute noblesse courbait l’échine face au roi et essayait à tout prix de s’attirer ses faveurs. Un regard du suzerain et cette marque d’attention aurait fait le tour des salons, l’heureux élu se vantant sans fin de ce geste qu’avait eu le roi à son égard. C’était stupide. Et, parmi tous ces fidèles sujets, se traînaient sans fin les rebuts, ceux qui ne prêtaient allégeance à personne et dont elle faisait (heureusement) partie.
Se détachant des gardiens qui n’avaient plus rien d’intéressant à lui offrir sinon un regard morne, elle se détourna pour revenir bon gré mal gré vers le directeur et intercepter ses yeux qui en disaient long sur ce qu’il pensait réellement d’elle. Bah ! Il changerait bien vite d’avis.
Elle n’était pas un monstre après tout.

Elle s’agita un moment sur sa chaise, recevant sans broncher le coup que lui portait le directeur. « Certaines personnes » la désignait tout naturellement. Puisqu’elle se trouvait dans ce centre de redressement, tous la considéraient comme dangereuse pour la société et le mieux pour elle était de la remettre bien vite dans le « droit chemin ».
Quelle expression idiote ! Le sens même lui en échappait. Qu’était le droit chemin sinon une succession d’événements ennuyeux où l’on se contente de demeurer à la place où on lui demande d’être ? Eden refusait de se laisser berner par une voie que tous croyaient être la meilleure pour elle. Elle avait cessé depuis longtemps d’être la cadette dont on se fiche et elle estimait avoir droit à sa part du gâteau. Si elle désirait faire quelque chose, qui pourrait l’en empêcher ? La loi ? En quoi l’enfreignait-elle ? Sa faute avait été de refuser d’être violée… Tout le monde aurait agit comme elle, non ? Bon, peut-être que beaucoup auraient appelé la police une fois les agresseurs hors de portée, mais Helen l’avait mérité. Elle la collait depuis tellement longtemps qu’elle en était devenu lassante.
« Ce n’est pas de ma faute ! ». Certes, cette phrase, ce directeur devait l’avoir entendue des centaines… Des milliers de fois ! … Sans jamais la croire. Mais la jeune fille refusait de voir sa part de responsabilité dans ce tragique événement.
L’être humain n’est qu’un jouet. Il y a ceux qui utilisent et ceux qui se laissent utiliser. Ca n’allait pas plus loin.

Le sourire chaleureux qu’il lui adressa ne lui donna pas une meilleure impression de sa personne. Il était aussi hypocrite qu’elle, si ce n’est plus. Il l’accusait tout en lui déversant une gentillesse mielleuse et écoeurante.


« L’envie. »

Marmonna-t-elle, légèrement déstabilisée par ce sourire qu’elle ne pouvait pas supporter. Baissant les yeux, elle s’accorda une légère pause avant de les relever pour affronter à nouveau le directeur, les yeux perdus et tristes, affichant sans restriction la perplexité de l’enfance.

« Je crois que nous désirons tous ce que nous ne pouvons avoir… Et il arrive que les gens dérapent et fassent des erreurs en croyant être à même de revendiquer quelque chose qui ne leur appartient pas. »

Elle appuya avec force sur les pages de son livre. Dans son cas, c’était la loi elle-même qui avait fait une erreur. Elle n’aurait jamais dû se retrouver ici, mais réclamer un dédommagement ne l’enfoncerait que plus dans cette prison et elle y moisirait jusqu’à ce qu’elle soit en âge de passer à un véritable enfer, là où les détenus qui ont volé et assassiné sont mélangés ensemble sans distinction.

« N’avez-vous jamais souhaiter obtenir ce que vous ne pouviez avoir ? »

Le rose lui monta une nouvelle fois aux joues et elle détourna son regard, gênée.

« Je m’excuse. Ma question était indiscrète. »

[HJ : Je m'excuse pour ce post, je le trouve vraiment moche].
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MessageSujet: Re: Candide [PV]   Candide [PV] Icon_minitimeLun 16 Fév - 0:15

La nature humaine était décidément très décevante. Mr. H. n’avait eu de cesse d’essayer de la changer, et à présent, il n’éprouvait plus d’amour que pour ses bien-aimés Gardiens. Les Prisonniers devaient changer. Ils devaient évoluer. Rentrer dans le rang, ne plus convoiter ce qu’ils n’étaient pas en droit de réclamer, ne plus battre des personnes qui n’avaient pas mérité un tel châtiment. S’il le fallait, Mr. H. les punirait chacun à leur tour de ses propres mains, jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’ils avaient tort, qu’ils avaient tous tort… Il souriait, néanmoins, le regard rivé sur la jeune fille assise non loin de lui.
Eden Northen cachait parfaitement son jeu. Qui aurait pu croire que cette jeune fille d’apparence si douce, si calme, avait commis les actes abominables pour lesquels elle avait été envoyé à High Creek’s Jail ? Personne… Tous les Prisonniers devaient la prendre pour ce qu’elle n’était pas. Tous devaient croire qu’elle n’était qu’une petite fille fragile, faible, aisément manipulable. Dieu, comme ils se trompaient ! Elle était prête à n’importe quoi pour sauver sa peau. N’importe quoi, cela pouvait aller de la non-assistance à personne en danger jusqu’à la violence pure et simple. Mr. H. sourit. La jeune fille prendrait peut-être ce sourire pour elle, mais en réalité, il essayait d’imaginer cette petite perle déversant toute sa colère sur une autre personne. Prise de folie, elle pouvait être redoutable.

Cela m’est arrivé.

Il avait répondu cela de la même façon que s’il avait dit « Tiens, il pleut ». Mr. H. avait-il donc réellement convoité quelque chose dans sa vie ? Bien entendu. Oh, oui, il l’avait désirée, cette chose. Désirée au point de la détruire. Il n’en conservait à présent qu’un vague souvenir et une paire de lunettes sur le nez. Cela n’avait donc plus la moindre importance. À présent, il ne limitait ses désirs qu’à ce qu’il pouvait avoir… ou plutôt, il se donnait les moyens d’obtenir ce qu’il désirait. C’était beaucoup plus simple de cette façon. Et beaucoup plus rapide.
Bien évidemment, il valait mieux qu’Eden ne soit pas au courant. Elle ne comprendrait pas sa façon de faire, penserait qu’il n’était, au final, qu’un délinquant lui-même. Ou plutôt un criminel, après tout ce qu’il avait fait. Mr. H. ne se considérait pas comme tel. Après tout, n’était pas à la tête de l’établissement de redressement le plus réputé d’Angleterre… et peut-être même d’Europe ? Sa renommée était en effet connue hors des frontières du pays, cela signifiait bien que ce qu’il faisait avec une utilité.

Malheureusement, les désirs personnels sont sources de problèmes. Je n’ai jamais rien connu de pire que l’égoïsme. Mais je crois qu’il n’y a pas une personne au monde qui ne soit égoïste. L’êtes-vous, Miss Northen ? Pour ma part, je pense l’être tout à fait.

N’était-ce pas absolument égoïste de vouloir forger le monde à l’image de perfection qu’il s’en faisait ? Si, assurément. Mais c’était aussi complètement altruiste. Après tout, il le faisait pour tous. Pour que chacun puisse pouvoir tourner au coin de la rue sans risquer de se faire agresser, ou rentrer chez soi sans avoir le déplaisir de retrouver sa maison vidée par des cambrioleurs de dix-sept ans.
Avec un léger sourire, il baissa les yeux vers son livre, qu’il referma dans un claquement sec. D’un geste souple, il déplia ses longues jambes et alla reposer les poèmes de Browning à leur place. Puis il s’appuya au dossier du siège d’Eden, derrière elle, et il se pencha au-dessus d’elle. Étrange situation. Un peu malsaine, sans doute. Il lui sourit, remontant ses lunettes sur son nez pour mieux voir le moindre détail de son visage angélique. Elle ne le dupait pas, lui. Elle n’était que transparente à ses yeux ; il lisait aussi bien en elle que dans la poésie de Browning.

Je vous prédis, Miss Northen, susurra-t-il en se penchant jusqu’à atteindre son oreille, un long séjour à High Creek. Et en règle générale, je ne me trompe pas.

Bien sûr que non, puisque c’était lui qui décidait du moment de la libération. Eden Northen, comme la plupart de ses camarades, n’était pas près de sortir d’ici… et Mr. H. jubilait d’avance.
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MessageSujet: Re: Candide [PV]   Candide [PV] Icon_minitimeLun 16 Fév - 21:41

Le monde s’en serait-il mieux porté si elle avait été rayée de son sol ? Assurément pas. La demoiselle n’était qu’un grain de sable perdu dans une immensité d’autres grains, réduit au rang de simple microbe sur l’échelle de l’univers. Cette vision lui déplaisait, mais elle lui conférait au moins la certitude que si tout allait mal, rien n’était de sa faute. Elle se laissait couler dans cette idée, se bornant à ne rien voir d’autre et glissant sans s’arrêter sur tout ce que les représentants de l’ordres essayaient vainement de lui inculquer.
Faire sa propre analyse de sa personne ne l’intéressait guère puisqu’elle savait déjà ce qu’elle allait y trouver. Aussi, les mots volaient sans fin au-dessus de sa tête, la porte de son esprit demeurant éternellement close, ne laissant pas entrer tout ce qui aurait pu concerner de près ou de loin cette « propagande ennemie » si redoutée. Jamais elle ne changerait parce qu’elle n’en avait pas le désir. Son souhait resterait pour toute sa vie le même… Et elle se donnait sans peine une vie longue et heureuse.
Le jour où elle mourrait, elle s’éteindrait dans un éclat de rire, définitivement heureuse d’avoir berné durant toutes ces années l’humanité et, accessoirement, contente de quitter enfin ce monde qui la répugnait tant.

Tout était planifié et rien ne devait venir perturber l’équilibre si fragile qui se dressait dans sa tête. Elle ne laisserait aucune faille à exploiter, aucun geste malencontreux à détourner. Elle se devait d’être parfaite en toute circonstance. Un théâtre vivant dont la pièce durerait pour toujours. Le rideau ne retomberait pas et les spectateurs n’auraient pas à applaudir. Ils se contenteraient de regarder la scène, ne saisissant pas son sens… Pas plus qu’ils ne saisiraient le mode de fonctionnement de la jeune fille.
Un seul bémol venait se glisser dans ses si grandioses plans : le directeur du centre de redressement d’High Creek’s Jail. Cet être infâme et hypocrite qu’elle n’arrivait pas à endormir pour le bercer de ses féeriques illusions.


« L’égoïsme est naturel… Bien qu’il ne soit pas très reluisant. Je suis égoïste, comme tout le monde. J’ai mes propres envies, mais j’essaye de les mettre de côté pour ne pas encombrer les autres. »

L’angelot qu’elle était ne devait pas se reposer sur les autres. Elle était une petite fille au caractère doux et généreux, souriant sans cesse et gardant ses sentiments pour elle… Dans le simple but de ne pas inquiéter ceux qui pourraient l’apprécier. Dès le début d’une relation, elle devenait très vite l’amie indispensable à qui l’on veut tout confier, à qui l’on veut tout de suite accorder sa confiance pour devenir de plus en plus proche d’elle… Sans jamais y parvenir.
Bien que peu s’en soient rendus compte, elle réussissait avec brio à laisser croire à la personne qu’elle était celle qui lui était le plus proche. Des imbéciles, tous, bien évidemment. Comment pouvait-on être assez idiot pour croire un tel caprice ? « Je ne veux pas te créer d’avantage de soucis ». Il était tellement aisé de paraître plutôt que d’être.

Le directeur se leva pour aller reposer le recueil de poésies. Le suivant du regard, elle l’observa revenir vers elle, méfiante et perplexe, s’appuyant contre le dossier de sa chaise pour lui sourire. Si elle s’était laissée aller à ses premières pensées, Eden aurait raffermi sa prise sur le livre qu’elle tenait entre les mains pour l’envoyer avec force dans ce visage qui était trop proche d’elle à son goût. Elle portait en horreur tout ce qui concernait la proximité avec autrui et que Mr. H. se permette un tel geste la remplissait d’effroi et de haine. Il ne devait pas la toucher. Sous aucun prétexte.
Déjà, le simple fait de sentir son souffle près de son oreille l’écoeurait et elle se pétrifia, effectuant le moins de mouvement possible pour éviter d’avoir à rencontrer malencontreusement la peau ou les vêtements du directeur.


« Ma bonne conduite devrait raccourcir ma peine. »

Souffla-t-elle. Le conditionnel était uniquement là pour ne pas blesser le directeur. Sa bonne conduite raccourcira sa peine. Elle en était certaine et, d’ici quelques mois, une fois que la juge se sera rendue compte qu’elle n’avait, décidément, rien à faire là, on la renverrait chez elle où elle écoperait des regards méfiants de ses parents d’adoption pour les semaines qui suivraient.
Après, la vie reprendrait son cours normal, à l’exception qu’elle aurait à jouer des pieds et des mains pour redorer son image auprès de ses camarades de classe, probablement persuadés qu’elle était un monstre, une brute à l’état pur. Ce serait dur, mais ce serait toujours mieux que ce centre où elle sentait que sa santé mentale était grandement menacée par le directeur et par ses gardiens.
Si elle s’attardait trop ici, son cerveau se ramollirait pour devenir pareil à celui des hommes de main de Mr. H. . Brr… Cette pensée était affreuse, sortie du cauchemar le plus proche. Elle la raya aussi vite que possible.


« Je ne veux pas rester ici. »

Les larmes aux yeux, elle se tourna prudemment vers le directeur, veillant à maintenir une distance de sécurité entre elle et lui. L’apitoyer ne marcherait sûrement pas. Elle doutait qu’un tel homme ait en lui une quelconque source de compassion… Mais elle pouvait toujours l’agacer ce qui serait en soit un merveilleux spectacle.
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MessageSujet: Re: Candide [PV]   Candide [PV] Icon_minitimeLun 16 Fév - 23:10

Raccourcirait sa peine. Mr. H. partit d’un grand éclat de rire. Contre toute attente, alors qu’il n’était en général pas enclin à se laisser dominer par ses émotions, il ne put contenir ce fou rire. Raccourcirait sa peine ? À bout de souffle, il dut se laisser tomber dans son fauteuil et essaya tant bien que mal de s’arrêter, mais les larmes lui montèrent aux yeux. D’une main tremblante, il retira ses lunettes et essuya les larmes qui perlaient déjà au coin de ses longs cils. Raccourcirait sa peine ! Il n’avait rien entendu de plus drôle depuis bien longtemps.
Il lui fallut de longues secondes avant de parvenir à calmer ce rire incontrôlable, et il essuya ses dernières larmes en gloussant encore. Quand il fut certain de ne plus éclater de rire, il leva ses yeux rougis en direction d’Eden. Un nouveau gloussement s’échappa de sa gorge ; il dut fermer les yeux une fraction de secondes pour ne pas se laisser emporter de nouveau, puis il les rouvrit pour regarder la jeune fille. Comme elle était naïve ! Peut-être pensait-elle pouvoir berner son monde en jouant les petites filles modèles, en faisant naître quelques larmes – très réalistes au demeurant – au coin de ses jolis yeux. Peut-être s’imaginait-elle que quelques battements de cils et un sourire penaud suffiraient à faire croire à tout le monde qu’elle était digne de sortir.
Il manqua de s’étouffer en retenant un nouveau fou rire, mais réussit à ne pas se laisser aller, cette fois-ci. Assis en travers de son fauteuil, ses longues jambes passées par-dessus un accoudoir, il fixa Eden avec un regard compatissant.

Hélas, je crains que vous ne vous mépreniez sur moi. J’ai passé bon nombre d’années ici, je sais exactement à quel moment mes Prisonniers sont prêts à sortir.

Son sourire se fit perfide, son regard cruel. Il se redressa pour se pencher vers Eden.

Croyez-moi, Miss Northen : vous, vous n’êtes absolument pas près de sortir.

Il adorait voir l’expression, à la fois désappointée et horrifiée, qui se lisait sur les visages de ses chers pensionnaires lorsqu’il leur annonçait cela. Il se délectait de leur rage naissante, et prenait un plaisir tout particulier à leur rappeler que le moindre geste de leur part envers lui leur attirerait plus de problèmes qu’ils n’en avaient eu tout au long de leur vie.
Mr. H. était toujours attristé lorsque l’un de ses Prisonniers le quittait. Il l’accueillait dans son bureau, parlait avec lui durant de longues heures. Cela pouvait durer tout un après-midi. Celui qu’il avait en face de lui acquiesçait à chacune de ses affirmations. Non, monsieur, je ne recommencerai plus. Non, monsieur, je ne ferai rien qui me ferait revenir ici. Non, monsieur, je ne parlerai pas… Je vous le promets… Mr. H. se levait alors, passait ses longs doigts sur le visage de son Prisonnier. De grosses larmes embuaient le regard de ce dernier qui commençait alors à sangloter comme un enfant. Il ne disait rien, ne demandait rien, ne suppliait pas. Mais il savait ce qui l’attendait, s’il parlait. Il savait ce qui l’attendait, s’il recommençait. Mr. H. se penchait alors pour l’embrasser – il faisait cela avec chacun de ses Prisonniers sortant. Il déposait un très léger baiser sur sa joue humide de larmes et souriait. Je suis sûr que tu dis vrai. Et rien ne venait jamais troubler la quiétude apparente de High Creek’s Jail.
Mais Eden Northen était loin d’être arrivée à cet instant béni où elle pourrait enfin quitter les murs glacés du château. Oh, non, il lui faudrait des mois, peut-être des années, avant d’être prête. Et cela, il n’y avait que Mr. H. qui pouvait le savoir. Elle-même ne saurait pas quand ce serait le cas. Peu à peu, les méthodes des Gardiens et du Directeur porteraient leurs fruits. Elle se ferait toute petite auprès d’eux, détruiraient ceux qui osaient braver les interdits, afin de ne pas avoir à subir les foudres des Gardiens. Elle serait docile, obéirait sans discuter. Peu à peu, elle changerait, sans même s’en rendre compte.
Mr. H. soupira pour se calmer une dernière fois et se tourna vers Eden.

Ne m’en veuillez pas, mademoiselle, mais je crois que vous n’avez encore absolument pas compris…

Il ne termina pas sa phrase, préférant la laisser en suspens. Oh, non, elle n’avait rien compris. Elle n’avait pas encore saisi qu’à High Creek’s Jail, elle ne dirigerait absolument rien… Au contraire, même… Le seul qui pouvait se targuer de tout contrôler, c’était lui. Mr. H.
Il sourit, de nouveau, et replaça ses lunettes sur son nez. Que d’émotions !
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MessageSujet: Re: Candide [PV]   Candide [PV] Icon_minitimeMar 17 Fév - 23:22

Il riait. Encore et encore, ne paraissant plus capable de s’arrêter. Son rire résonna dans l’esprit de la jeune fille qui se renfrogna et attendit patiemment que son hilarité cesse, n’envisageant pas l’idée de demander des explications. Rire, sourire… Chacun de ces gestes étaient puérils et appartenaient à son théâtre. En aucun cas ils ne pouvaient intégrer la réalité. Leur valeur n’était pas suffisamment importante à ses yeux pour qu’elle les concentre et les focalise ailleurs que dans sa psyché vacillante. Et lui osait les lui mettre devant le nez, laissant éclater toute l’horreur de la chose. Quel être infâme ! Rien d’étonnant dans le fait qu’il soit devenu directeur d’un centre de redressement pour jeunes délinquants. Assouvir ses plus profonds fantasmes sur des adolescents ne pouvant rien dire ni faire devait être jouissif. Il ne devait atteindre le paroxysme du plaisir que lorsqu’il s’occupait de l’un de ses nombreux pensionnaires.
Pinçant les lèvres, laissant ses traits se peindre en une moue perplexe, elle conserva pour elle ses sourcils froncés et son air agacé. Entre haine et admiration, la balance oscillait dangereusement dans un équilibre précaire qui ne semblait, cependant, pas déterminer à céder. Chacun des deux partis se battait pour sa cause et, à cet instant, la haine gagnait en force tandis que l’admiration perdait de sa superbe. Les faveurs qu’elle lui avait accordées se tarissaient à mesure que les éclats de rire retentissaient dans toute la bibliothèque, sautillant vers les gardiens qui affichèrent une mine surprise. Voir le maître rire devait être un spectacle exceptionnel… Dommage qu’elle en fut la cause.

La suite s’engagea, ne s’annonçant guère plus clémente envers elle. Peu à peu, son esprit se modifiait, incluant dans des données qu’elle croyait pourtant solides, un nouvel élément : le directeur. C’était lui qui avait la main mise sur sa prochaine libération et si elle ne réussissait pas à le persuader, - lui -, elle ne sortirait peut-être pas d’ici avant plusieurs années… Lui, cet homme qui ne se laissait berner par aucune illusion et qui était assez intelligent pour percer son petit jeu, insensible à tous ses efforts pour le persuader qu’elle était une personne aimable.
Figée, raide, elle fixait, impassible, son interlocuteur, n’oubliant pas cette lueur espiègle qui se devait d’être toujours présente dans son regard. Mieux valait ne pas afficher cette froideur maladive qui la poursuivait habituellement : elle n’en tirerait rien de bon. Se lever et s’emparer du menton du directeur pour approcher son visage du sien, jouant sur le plaisir de la chair ne l’aiderait pas plus que de laisser libre cours à sa colère en lui balançant son poing au creux du visage… Mais pourquoi diable s’acharnait-elle à maintenir une illusion qu’elle savait inefficace ? La force de l’habitude, probablement. Pouvait-elle se révéler puisque Mr. H. semblait tout savoir d’elle ?
Elle hésitait, élaborant des théories douteuses sur une possible manipulation de la part de ce dernier qui lui laissait croire qu’il savait tout alors que ce n’était pas le cas… Cependant, quelque chose lui disait qu’elle se faisait trop de soucis.
L’angelot n’avait aucune emprise. Ses griffes glissaient le long d’un esprit qui était insondable et refusait de se laisser avoir. Le froufroutement de ses ailes d’un blanc de nacre n’atteignait même pas l’oreille externe et n’envisageait pas plus la possibilité que l’oreille interne transforme ce son en signal électrique pour l’envoyer vers le cerveau. Ses traits et son regard ne s’imprégnait pas dans les prunelles en une image rémanente qui lui brûlerait la rétine à force de temps… Rien n’était viable. Tout était à revoir si elle voulait se faire passer pour une gentille petite fille sans avoir à modifier sa nature profonde.

Jouant avec une bague glissée autour de son annulaire, elle leva les yeux vers le directeur, sourde au moindre de ses propos. Il allait lui être plus difficile que prévu de le faire flancher, mais la difficulté ne la rebutait pas. Au contraire, elle l’attirait irrévocablement, et des frissons d’excitation parcouraient sa colonne vertébrale. Son intelligence allait être mise à rude épreuve et il lui tardait déjà de commencer sa thérapie. Si son image coruscante de l’ange ne fonctionnait pas, les doctrines que lui enseigneraient les gardiens la laisseraient tout autant de marbre. Peut-être qu’à force de passer par les sermons et les punitions, Mr. H. se persuaderait que ça suffisait, qu’elle était prête, et qu’il la laisserait sortir. La solution serait-elle de quitter son masque douçâtre pour un autre, plus violent, qui évoluerait au fil du temps ? Devait-elle faire bouger son personnage, changer peu à peu sa façon de penser ? Jamais encore elle n’avait fait évoluer son ange favori, mais ça promettait d’être amusant. D’un caractère doux à un caractère violent, puis, à nouveau, une affabilité incomparable.
Un léger sourire s’étira sur son visage alors qu’elle se levait, sa chaise raclant affreusement sur le sol, dérangeant ses oreilles.


« Et, à votre avis, qu’est-ce que je n’ai pas compris ? »

Un brin glaciale, sa voix s’était élevée dans les airs, mais elle n’en restait pas moins gentille et innocente. Elle ne devait pas changer trop vite. Elle avait le droit de prendre son temps. Un, deux mois… Trois au grand maximum.
Le compte à rebours était lancé. Dans un an, elle devait avoir quitté l’établissement. Deux mois pour changer sa façon d’être, quatre pour laisser penser qu’elle assimilait les leçons des gardiens… Et les six derniers mois pour prouver qu’elle les appliquait désormais.

Elle se déplaça pour se laisser tomber dans un fauteuil, plus confortable qu’une simple chaise. Elle ramena ses jambes pour se placer en tailleur et sourit au directeur, se penchant légèrement vers lui.


« Pourquoi l’initiale ‘H’ ? Détestez-vous tellement votre prénom qu’il vous faille le masquer par une simple lettre ? »

Son ton s’était fait moqueur tout en gardant cette malice si difficilement acquise par l’ange qu’elle voulait montrer. Ne s'attardant pas sur cette élucubration à laquelle elle ne croyait pas, elle passa à autre chose :

« Et vous ? Quand sortirez-vous d'ici ? »

Elle userait, avec le temps, de sarcasmes… Mais elle ne devait pas faire évoluer son personnage jusqu’à la délinquance et l’idiotie. Eden Northen serait un être froid et sarcastique pour un temps, rejetant toute forme d’autorité pour, ensuite, l’accepter peu à peu.

Un an. Top chrono.
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MessageSujet: Re: Candide [PV]   Candide [PV] Icon_minitimeMer 18 Fév - 23:19

Ce qu'elle n'avait pas compris ? Mr. H. sourit, d'un air presque apitoyé. Pauvre Eden... Elle n'avait rien compris. Mettre sur le doigt sur la chose qu'elle n'avait pas saisie était tout simplement impossible. Il lui aurait fallu des dizaines de paires de mains pour y parvenir. La chose la plus importante, elle n'avait pas compris que Mr. H. savait merveilleusement déjouer les artifices de ses chers protégés. Ils pouvaient toujours lui mentir, toujours faire semblant d’être les petits pantins parfaits qu’il voulait les voir devenir, il savait toujours exactement quand il s’agissait de comédie et quand c’était un véritable changement. Il n’aurait besoin que d’un seul regard pour savoir quand elle dirait la vérité...
Il acheva d’essuyer ses larmes, un hoquet s’échappant de temps à autres de sa gorge. Depuis quand n’avait-il pas ri de cette façon ? Cela devait faire bien des années. Oh, il riait, parfois. Mais jamais aussi sincèrement, jamais avec autant de cœur. Avant d’ouvrir High Creek’s Jail, avait-il une seule fois autant ri qu’à cet instant ? Il n’en était même pas sûr. En fait, il était bien possible qu’il n’eut jamais autant ri que ce jour-là. Son cœur en battait encore, à une vitesse folle. Il y porta la main, doucement, la blancheur de ses doigts se détachant à peine de celle de sa chemise. Cela lui faisait mal, quand il battait si vite. C’était probablement la raison pour laquelle il évitait toute émotion inutile – ou plutôt, que les émotions l’évitaient.
Il sourit en regardant Eden, qui avait semblait-il décidé de l’attaquer sur un autre front. Son nom. Mr. H. l’avait en horreur. Elle ne croyait pas si bien dire, en supposant qu’elle détestait son prénom au point de vouloir le cacher, mais là où elle se trompait, c’était que cette initiale mystérieuse était celle de son nom de famille. Il se leva tout à coup, inspirant profondément, et haussa les épaules. Toute hilarité semblait l’avoir déserté.

Mon nom n’a que peu d’importance, déclara-t-il. Vous remarquerez que les autorités n’en ont nullement besoin pour m’accorder toute leur confiance. Et cela ne vous avancera à rien de le connaître.

Quant au nombre d’années qu’il lui restait à vivre en ces lieux... Mr. H. préféra ne pas répondre. Là non plus, ça n’avait pas la moindre importance. De toute façon, il était là pour longtemps. On ne rompait pas un contrat si parfaitement rédigé, et Mr. H. fréquentait assez le milieu judiciaire pour savoir qu’il n’avait aucun moyen de revenir sur sa signature. Mais le prix à payer était bien faible en comparaison de tout ce qu’il pouvait y gagner.
Durant quelques secondes, il resta immobile, fixant la fenêtre comme s’il y voyait une chose étrange et pourtant parfaitement connue. Puis il cligna des yeux, rapidement, et baissa le regard vers Eden. Ce fut d’un ton mielleux, écœurant, qu’il reprit, éludant la question :

Je vais hélas devoir prendre congé de vous, Miss Northen. Sachez bien que j’ai trouvé cette conversation hautement intéressante et instructive, et il me tarde de pouvoir la reprendre un jour prochain.

Le ton de sa voix était véritablement doucereux. Il le faisait exprès. Il voulait qu’elle le haïsse, qu’elle le prenne pour un imbécile parvenu et détraqué – ce qu’il était, dans un certain sens. Cela ne le servirait que trop bien. Ainsi, elle sous-estimerait ses capacités à terroriser et à faire souffrir, et lorsque le moment viendrait pour elle de se trouver entre ses griffes... Mr. H. la briserait, comme tous les autres. Il la détruirait, la broierait entre ses longs doigts, jusqu’à ce qu’elle le supplie et qu’elle devienne incapable de faire autre chose que trembler devant lui. Oh, oui, elle tremblerait... Oh, oui, elle supplierait. Ils le faisaient tous. Ou sinon... elle mourrait, voilà tout. Le cimetière de High Creek’s Jail avait encore bon nombre de places vacantes.
À grands pas, il se glissa entre deux rayonnages, prit un livre au hasard – sans se rendre compte qu’il l’avait déjà dans sa bibliothèque – et revint s’incliner brièvement devant Eden.

J’espère néanmoins pour vous, ma chère, que nous nous retrouverons dans cet endroit et non dans un autre. Cela pourrait être de mauvais augure pour vous. Au revoir.

Et ils se reverraient bien vite, elle pouvait en être sûre. Mr. H. n’en doutait pas. Elle se ferait avoir, à un moment ou à un autre, elle ferait un faux pas. On ne refoulait pas ses pulsions violentes aussi facilement. Mr. H. n’était pas le plus mal placé pour le savoir. Avec un autre de ses sourires qui, il en était sûr, mettait Eden hors d’elle intérieurement, il inclina la tête devant elle et se dirigea vers la porte. Sa main s’attarda sur l’épaule d’un des Gardiens, qui lui adressa un sourire à peine voilé. Mr. H. se tourna vers Eden comme s’il avait oublié quelque chose :

Au fait... Vous devriez essayer la quatrième rangée, juste là.

Les romans satiriques britanniques avaient bien plus de saveur que les français. Il était sûr qu’ils lui plairaient.
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