High Creek's Jail
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Une prison un peu étrange...
 
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Les cours sont particuliers [Manon]

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Matthias Anstern
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MessageSujet: Les cours sont particuliers [Manon]   Les cours sont particuliers [Manon] Icon_minitimeLun 30 Mar - 2:48

Parmi des générations d'écoliers, s'il y a bien une chose, et une seule qui mette cette foule informe d'accord au propos de sa vacuité, de sa cruauté inepte et gratuite, de ce labeur vain... C'est la dictée. Et malgré cela, à travers les âges, chaque être usant lin, coton ou nylon sur les bancs d'une école aura un jour trouvé un maître pour lui faire subir cette forme d'érosion psychologique abrutissante, destinée à plier quiconque aux Lois de la Grammaire et de l'Orthographe. Deux des codes normatifs de la société.
Et traités comme tels par l'Allemand.
Claquant ses bottes comme le voulait son surnom avec la régularité d'un métronome trop lent, calqué sur un rythme à peine plus lent que la seconde -Juste assez décalé pour que ce rythme contre nature agace les oreilles musicales- Anstern passait au travers des rangs de la salle d'étude. Peu nombreux étaient les Gardiens qui s'obstinaient à instruire ces sots, venus s'échouer là. Mais lorsqu'il ne fumait pas, lorsqu'il n'était pas à sa musique ou à ses... Initiatives plus personnelles envers ceux qui s'étaient fait remarquer, il était là. Inlassable mécanisme au visage aimable de jeune premier, qui distillait dans ses leçons d'Histoire de sordides détails, de précieuses faussetés habilement dissimulées. Qui avait la langue suffisamment perfide pour oser parler de philosophie et s'y trouver bien. Même si, malgré le sujet, on trouvait rarement le Keiser plus à l'aise que lorsqu'il parlait de ces règles préconçues, sans sens, sans sujets, de celles qui font les langues. Certains auraient pu voir, dans ce rapport de Maître à élève, son intérêt dans le fait d'être nommé comme ce premier, et moins dans l'éducation du second.
Au mépris des différences et des difficultés de ses disciples, il ne cherchait jamais à corriger son accent lorsqu'il dictait des textes écrits dans un anglais révolu -Shakespeare avait sa faveur, souvent- et le sort réservé à celui qui était le moins rigoureux était le même qu'à celui qui aurait osé être bavard.
C'est à dire, une entrevue avec Monsieur le Professeur, en privé, après les classes. Une entrevue longue, dont il était rare qu'un prisonnier parle. Mais dont il était plus que fréquent que ceux qui en avaient bénéficié aient de nets progrès scolaires. Ainsi, alors qu'il corrigeait les copies de ceux qui avaient eu l'honneur -Particulier- d'être sélectionnés pour suivre cette leçon, le silence régnait. Seulement brisé par le tintement net et clair des clés du Gardien, tournant en sa main.
Droite. Cling. Gauche. Clic.
Lorsqu'il abaissa ce tas de feuilles noircies, quelques respirations se turent, quand d'autres s'accéléraient. Il se leva, et dans cette même ambiance de mausolée, distribua sans un mot les copies corrigées. Du plus fort, du plus correct, qui avait le droit immédiat de prendre ses affaires et de partir, à la condition expresse de remercier bien Monsieur de dispenser son savoir, à un nombre plus réduit, petit à petit, et de plus en plus nerveux d'élèves.

Et ce jour là, il s'arrêta devant une fraîche arrivante. Un visage presque inconnu, tout juste noté comme récent. Comme docile. Comme timoré.
Tous étaient déjà partis. Elle était la dernière. Et peut être ignorait-elle encore l'exacte signification de cette porte qui se refermait sur l'avant dernier.
Seule face au loup, qui lui décocha un sourire aimable, quoique peiné.
Qui déposa cette feuille, bien à plat, de son écriture en noir, raturé d'une autre, régulière et pointue, en rouge. Qui apposa ensuite ses mains, une de chaque côté, bien symétriques, sur la table devant laquelle la jeune femme était assise.
Il la parcourut une dernière fois des yeux, nota le nom, plongea son regard au fond de ses yeux. Ca avait quelque chose de profondément déstabilisant, ces gestes lents, calculés, appliqués. Il se penchait sur elle avec l'allure de celui qui se prépare un bon diner.
Sa voix, chaude, grave et encore peu appuyée, gardant cet accent qui la rendait plus dure, détachait clairement les syllabes. Encore cette lenteur un cran trop marquée pour être tout à fait naturelle.

    Mademoiselle Dubois. Nous allons apprendre à nous connaître. Je suis Anstern. Matthias Anstern. Avez-vous d'ores et déjà une... Explication à ceci?

Comme si l'évidence n'était pas encore assez présente, il fit pivoter d'un geste sec d'une de ses mains gantées la feuille dans le sens de lecture pour la demoiselle, la poussant vers elle.
Premier acte.
Bienvenue à High Creek.
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MessageSujet: Re: Les cours sont particuliers [Manon]   Les cours sont particuliers [Manon] Icon_minitimeLun 30 Mar - 8:45

C'était la première fois depuis qu'elle était arrivée dans ce centre de redressement que Manon avait dû se plier à ce qui, semblait-il, était un rituel ici, la salle de travail. Les jeunes présents dans le centre devaient satisfaire à cet exercice, des cours dans différentes matières. Au début, avant ce premier cours, elle s'était dit qu'après tout cela poucait être intéressant et ne pas lui faire tout perdre durant ces longues années à passer dans ce qui n'était finalement qu'une vulgaire prison.

Prison ... ce mot résonna dans sa tête et provoqua en elle un trouble. Elle avait bêtement gaché sa jeunesse par sa trop grande naïveté. Mais méritait-elle une peine aussi lourde?... c'était injuste. tous ses rêves futurs, ses espoirs de devenir médecin s'envolaient. Quand elle sortirait d'ici, le temps aura passé, il serait trop tard pour entreprendre des études aussi longues... et en aurait-elle seulement envie? Rien n'était moins sûr. La jeune fille regarda sa copie. Ce n'est pas avec des exercices aussi stupides qu'elle progresserait ou maintiendrait seulement son niveau. C'était bon pour des attardés, pour des élèves difficiles... et encore! Mais pas pour elle. Qu'est-ce que ça lui apporterait? En plus, si elle n'était pas trop mauvaise en anglais ce n'était pas sa langue maternelle. Certaines subtilités lui échappaient. Et elle n'avait pas envie de s'investir dans cet exercice.

En plus ce surveillant l'énervait avec le bruit ses pas, lourds et bien marqués, ses clefs qu'il faisait tourner bruyamment dans ses mains, comme pour narguer les jeunes présents dans la salle. Manon avait remarqué au tout début le curieux accent de cet homme. Il devait être allemand ou quelque chose comme cela. Les pensées de la jeune fille avaient virevolté d'une idée à l'autre. Elle était restée distraite durant toute la durée du devoir. Impossible de se concentrer et elle n'en avait d'ailleurs nulle envie. Et voilà que maintenant il rendait les copies corrigées. Il se déplaçait d'une place à l'autre avec un sourire qui donnait le frisson. cet homme semblait à chaque fois préparer des mauvais coups. On ne pouvait certainement pas lui faire confiance. Il semblait distribuer les copies dans l'ordre de réussite du devoir. La salle s'était peu à peu vidée. Manon était de plus en plus inquiète. Voilà qu'elle restait la dernière. Une petite boule s'était formée dans sa gorge. L'homme s'approcha d'elle et posa la copie devant elle et lui demanda des explications. Il avait parlé d'une voix ferme et dure. un frisson la parcourut. Elle regarda la copie placée bien devant elle et vit la note. Elle savait ne pas avoir réussi ce devoir mais ... à ce point...

"je ne sais pas... ce devoir ne m'a pas inspirée... peut-être parce que c'est le premier que je fais ici..."

Manon bredouillait un peu. Mais elle avait aussi envie de se rebeller. Pour qui la prenait-on?

"...et puis je n'avais pas très envie de faire ce devoir. L'anglais n'est pas ma langue naturelle... je suis une très bonne élève dans mon pays. Cet exercice est stupide pour moi... ça ne m'apporte rien pour ce que je veux faire plus tard..."

Elle s'était laissée un peu emportée et le regrettait maintenant. Comment allait-il réagir, cet homme, ce gardien qui semblait peu commode.
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Matthias Anstern
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MessageSujet: Re: Les cours sont particuliers [Manon]   Les cours sont particuliers [Manon] Icon_minitimeLun 30 Mar - 18:49

Allons bon. Une bonne élève dans son pays. Un petit "fuh!" ironique lui échappa, sec et nasal, avant qu'il ne retourne une chaise voisine pour la plaquer devant la table, et s'y appuyer. Genou sur l'assise, bras croisés sur le dossier. Ses mains, pour une fois, étaient nues. Propres, impeccables, manucurées avec soin, aurait-on dit. S'il en venait à remettre ses gants, c'est que ça allait devenir salissant. Pour l'instant, il n'en était pas question.
Pour l'instant, il plantait son regard dans le sien, gris acier contre un marron presque doré. C'était un serpent qui captivait ses proies, un magnétiseur qui se devait de pénétrer ces jeunes esprits avant de les modeler avec lenteur et application. Avec une cruelle et attentive détermination, il restait silencieux, observant la moindre de ses réactions, de ses doutes, de son attente. Il savourait. Il analysait. C'était un œnologue de l'âme.
Et ce vin semblait être une petite fille qui n'avait rien à faire ici. Du moins, pas à ses yeux, à cette révolte, à ses projets qu'il devinait. Mais, malheureusement pour elle; être en ces lieux et mériter -Vers le haut, ou vers le bas de l'échelle des valeurs que peut prendre ce mot- l'attention d'Anstern n'était plus une question de culpabilité. Il avait déjà condamné des hommes, des femmes parce qu'ils avaient eu le malheur de naitre. Le supplier d'être épargné parce qu'on n'avait commis aucune réelle faute, aucun impair, était à ses yeux une marque de faiblesse de plus. La faiblesse est laideur. Dieu merci, elle se corrige. Du moins, lui, savait le faire.

    Un exercice stupide. Auquel vous avez échoué. Quelle conclusion dois-je en tirer, Mademoiselle Dubois?

Finit-il par claquer, frappant la note de l'ongle, une fois. Le sourire se marquait légèrement à son visage d'ange sévère. Un rictus ironique, délicieux. Voilà pour qui on la prenait, pour une mauvaise fille, mauvaise élève, une sotte. Il soupira, avec ce petit air affecté, désolé. Déjà.
    Ce que vous voulez faire plus tard? Vous manquez de bon sens élémentaire, jeune fille. Tant que vous ne serez pas jugée apte, vos lendemains se comptent tous entre ses murs.

Il se penchait davantage, avec une expression presque complice, presque triste, pourtant supérieure et dure.
    C'est moi en premier lieu que vous devez convaincre, pour que le Directeur soit convaincu. Votre pays ne pourra rien pour vous. Rien n'est excuse à pareilles lacunes.

Il aurait pu continuer encore longtemps, à l'enfoncer, petit à petit. A déstabiliser ces pauvres fragments de certitudes qu'il reste lorsqu'on est déraciné, privé de tout, jeté en cage. Mais il était homme patient, et homme de métier. Il scrutait la demoiselle, avisait ses mains pour ne manquer leurs tremblements, ses yeux pour ne perdre l'extinction de la lueur de la colère, puis de celle de l'espoir. Les choses sont si belles quand elles finissent. Ces derniers temps, la gente féminine de la maison de correction semblait vouloir se rebeller. Et il serait de cette guerre là, même si elle était bien plus intime, bien plus cachée, et que l'opinion publique s'en félicitait. Il en serait. Et il ne faisait jamais les choses à moitié.

Il serra fugacement le poing. A peine une crispation, tout juste sensible. Encore moins visible. Juste un petit mouvement, là. Rien ne notable, sauf peut être dans sa rigidité peu naturelle, forcée. Tout en contenance. Cette apparence trop stricte, trop lisse, devait certainement cacher des horreurs.
"Peu commode". C'était très loin de la réalité.
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MessageSujet: Re: Les cours sont particuliers [Manon]   Les cours sont particuliers [Manon] Icon_minitimeMar 31 Mar - 0:22

Manon avait presque aussitôt regretter de s'être laissée emporter mais maintenant il lui fallait assumer. Et la jeune fille, bien que n'ayant encore jamais affronté de telles situations, n'était pas du genre à se laisser emporter par le premier obstacle. Elle regarda l'homme qui prit une chaise pour s'installer face à elle. Il exécutait chacun de ses gestes avec une lenteur et une forideur impressionnantes. Il ne fallait surtout pas qu'elle se laisse intimider. Elle soutint son regard qui cherchait à la transpercer, un regard terrible derrière lequel la jeune fille crut deviner une impitoyable cruauté. Cela lui fit froid dans le dos. Surtout resister, tenir le choc. Ce leitmotiv défilait dans sa tête. Il fallait qu'elle trouve l'ouverture dans cette carapace hermétique. Ce ne serait pas facile. Il la toisait du regard, surveillant sa réaction. C'était une sorte de jeu du chat et de la souris qui mettait la jeune française particulièrement mal à l'aise. Si seulement il se mettait à parler au lieu de la regarder avec un brin d'ironie et un soupçon de dureté. Il se décida à parler, martelant chacune des syllabes, avec cet accent dont, en d'autres circonstances elle aurait ri. Il parlait durement mais sans élever la voix. Mais ses paroles furent comme une gifle pour elle. Il insistait bien entendu sur la note lamentable qu'elle avait obtenue. Mais ce n'était pas cet enseignant fantoche qui allait la juger. Elle haussa les épaules comme pour montrer le peu d'estime qu'elle portait au jugement de ce type à l'acoutrement ridicule, à l'accent ridicule, au comportement ridicule. Tout était ridicule en lui mais il valait mieux ne pas le lui dire. Résister mais sans provocation. Se rebeller mais en sachant garder un peu de réserve.

"ce ne sont pas vos exercices ou vos notes qui vont me dire si je suis une bonne élève ou pas, si je suis douée ou pas. Vous vous croyez fort peut-être!... je n'ai pas besoin de vos conseils !"

La jeune fille s'était une fois de plus laissée un peu emporter. Ses propos avient été un peu au-delà de ce qu'elle aurait souhaité. Ce type l'insupportait tellement qu'elle avait envie de le vexer. Et Manon s'était dit que si elle lui montrait du mépris ou, au mieux, de l'indifférence, elle pourrait marquer des points face à cet individu. C'était une stratégie comme une autre et elle avait très envie de la tenter. Mais elle vit toujours dans le regard d'acier de cet homme une dureté infinie. L'espace d'un instant elle eut l'impression qu'il avait envie de la gifler et qu'il se retenait difficilement. Manon l'observa qui serrait le poing à s'en faire blanchir la main. Elle ne devait surtout pas subir et fit mine de partir. Elle se leva de sa chaise, observant les réactions du gardien. Un silence pesait régnait dans la pièce. La petite boule d'angoisse qui avait disparu revint et elle restait aux aguets.
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MessageSujet: Re: Les cours sont particuliers [Manon]   Les cours sont particuliers [Manon] Icon_minitimeMar 31 Mar - 14:04

La main se leva, lente et appliquée. Elle saisit une longue mèche de cheveux, qui, en retard, voletait avec le mouvement de la jeune fille. D'un mouvement cruel, subit, rapide, il la rabattit sur sa chaise, face à lui. Sans lâcher cette corde de cheveux qui la retenait à lui et à cette épreuve bien plus rude qu'une dictée qui s'annonçait, il souffla d'un ton dissonant, très calme, très poli. Presque aimable.
    Nous n'en n'avons pas fini. C'est très impoli, jeune fille, ce que vous faites.

Il enroula la mèche autour des doigts de sa main, de façon désordonnée, un peu aléatoire. La relâcha en se levant, pour se poster à ses côtés. Une main qui fouillait les poches de sa veste. Un gant en surgit, puis son jumeau. Lentement il les passa, avisant la demoiselle. Elle était svelte et athlétique, mais ce n'était pas grand chose face à son entrainement militaire soigneusement entretenu, répété.
    Ne vous levez pas sans que je l'ai décidé. Que vous le vouliez ou non, vous avez été envoyée ici par la force de la Loi. Vous l'avez mérité. Vous êtes un rebut de cette société décadente et votre dernière chance est de me prouver que vous valez effectivement ce que vous prétendez.

Le cuir grinça dans une sinistre augure. Voilà, l'homme avait complété son accoutrement qu'elle pourrait peut être trouver encore plus ridicule, mais d'un ridicule dont on ne saurait rire. comme un clown dans un film qui ne serait pas pour des enfants, et dans lequel ce clown laisse des morceaux sales derrière lui. Il se craqua la nuque, pour achever le silence.
Sa voix était à peine plus qu'un murmure, désormais. Quelque chose de suave, qu'on aurait bien entendu susurrer des mots tendres, à faire rougir une catin. Elle jouait un jeu bien dangereux. Peut être pouvait-elle commencer à le deviner, à présent que l'une des mains de son professeur très particulier se posait à son épaule, près de sa nuque, pour la forcer à garder la tête basse.

    Je pense que vous avez désespérément besoin de mes conseils. Écoutez les bien. Je ne répète pas.

Contrairement à beaucoup, il ne montrait aucun signe ni d'impatience, ni de colère. Il l'avait brutalisée comme il se serait penché pour ramasser une feuille. Entre ses mains, elle n'était guère plus qu'un objet, de la glaise qu'il se faisait un loisir de remodeler, de déformer, de changer. Et il le faisait sentir, rien que dans cette pression de ses doigts à présent maquillés de ce cuir qui complétait si bien son allure. Un boucher en complet de bureau, un bon samaritain aux hobbies plus que douteux. Elle n'avait marqué aucun point. Elle n'avait gagné aucun respect. Mentalement, il décomptait plutôt les minutes qu'il faudrait à cette petite Française avant d'avoir grâce à ses yeux, avant qu'il estime qu'elle aie, pour l'instant, expié. Dans quel cauchemar s'était-elle donc enfoncé, tout cela pour une mauvaise note, une mauvaise soirée?...
Anstern, lui, avait le regard de celui qui a déjà vu cette scène. Des tas de fois. Mais pour qui c'est un moment de plaisir sans cesse renouvelé.
Certains préfèrent le jardinage. Lui, aimait à défaire les esprits comme un enfant arrache les ailes d'une mouche.
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MessageSujet: Re: Les cours sont particuliers [Manon]   Les cours sont particuliers [Manon] Icon_minitimeMar 31 Mar - 22:22

La réaction ne se fit malheureusement pas attendre. A peine s'était-elle levée que Manon sentit que l'on saisissait une de ses mèches de cheveux, ses longs et beaux cheveux. Le mouvement qui l'obligea à se rasseoir en tirant sur cette mèche provoqua une violente douleur. La jeune fille regretta sa rebellion. En fait elle regrettait surtout se l'avoir affronté de manière trop frontale. Elle devait se méfier de cet homme. Il tirait encore sur ses cheveux, et la douleur lancinante lui coupait le souffle tandis que le gardien lui fit remarquer qu'elle était impolie avec une voix calme et doucereuse. Cette voix était tellement aux antipodes de ces gestes, de ce qu'il lui faisait subir... Une, deux ou trois minutes s'écoulèrent ainsi et, dans ces situations, les secondes semblent durer des minutes, les minutes paraissent durer des heures. Il relacha enfin les cheveux et la douleur devint plus supportable. Manon l'observa en train de mettre des gants à chacune de ses mains. Que voulait-il faire? Où voulait-il en venir? Elle n'osait plus trop bouger et se passa la main dans les cheveux, touchant son cuir chevelu encore sensible, le regardant, un regard vaguement inquiet. Elle cherchait à cacher son désarroi. L'homme venait de finir d'enfiler les gants quand il se mit à la rabaisser, la traitant de rebut de la société. La jeune prisonnière aurait eu envie de lui cracher au visage.

Il parlait toujours de cette voix douce, lente mais autoritaire, cette voix qui résonnait dans la tête de la jeune prisonnière et qu'elle exécrait de plus en plus. Elle ne vit pas les mouvements du gardien qui, d'un geste rapide, posa sa main à la limite entre l'épaule et la nuque de la jeune fille qui se sentit prise dans un étau, un étau qui était prêt à broyer ce qu'il enserrait. Manon dut courber la tête. A cet instant qu'était-elle? pas grand'chose et il le lui faisait sentir. C'était une nouvelle douleur intolérable qui se propageait dans son épaule, dans sa nuque... douleur qui lui montait à la tête. Elle s'inclina un peu plus, signe obligée de soumission à son tortionnaire. Le mot était peut-être un peu fort mais c'est celui qui lui vint à l'esprit en même temps qu'un sentiment de haine et de révolte. Il était en position de force mais il ne perdait rien pour attendre. Dès qu'elle le pourrait elle se vengerait. La jeune fille eut l'impression que cela durait des heures. Puis l'étreinte se dessera lentement. Elle avait l'impression d'être paralysée, de ne plus pouvoir bouger la tête. Elle vit sur le visage de l'homme l'expression d'une satisfaction presque sadique. Il prenait visiblement plaisir à faire souffrir les "prisonniers-élèves". Manon bouillait intérieurement mais ne voyait pas comment se venger de ce qu'il venait de lui faire subir. Elle murmura entre ses dents, pensant qu'il ne l'entendrait pas.

"salaud... tu te crois fort mais tu n'es qu'une lavette..."

Elle ressentait encore des douleurs lancinantes dans sa nuque. Mais Manon redressa la tête et le regarda, le regard noir, sans répondre aux différentes remarques qu'il lui avait fait sur son comportement et l'intérêt qu'elle avait de suivre ses conseils. Encore une fois, si elle l'avait pu, elle lui aurait craché dessus. Puis elle détourna la tête, toujours muette, répétant juste dans un murmure imperceptible "salaud"
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MessageSujet: Re: Les cours sont particuliers [Manon]   Les cours sont particuliers [Manon] Icon_minitimeVen 3 Avr - 2:08

Plus de mot. Si ce n'est ce qu'elle grognait, imaginant sans doute qu'elle pouvait bredouiller quoique ce soit alors qu'il la touchait entre les épaules et qu'il ne le sente pas. Surtout, elle osait relever la tête, alors qu'il la lui avait baissée. Car, lorsqu'il indiquait à un élève du geste ce qu'il fallait faire, lorsqu'il corrigeait le maintien d'une jeune dame, l'Allemand entendait à ce qu'on garde religieusement cette posture.

Certainement pas qu'on la bafoue d'un regard si vulgaire, et d'un mot qui l'était encore davantage.

    Je regrette d'avoir à être aussi clair.

Le gant agrippa à nouveau la chevelure, mais à pleine main cette fois. Sans en caresser une seule fois les mèches. Sans la moindre trace de pitié, ni curieusement, de colère.
    Face à moi, vous devrez être courtoise.

Il lui tira la tête en arrière d'un coup sec.
    Je ne plaisante pas.

Pour ponctuer sa phrase, il rabattit la tête de la jeune fille contre la table. Avec force. Sans retenue. Sur sa copie.
Le bureau en grinça de mécontentement, face au choc brutal, le stylo tomba à terre, résonnant dans le silence pesant qui suivait le choc lourd.

Ca avait de quoi sonner un jeune homme plutôt robuste. Le nez saignerait sans doute. Il tira une nouvelle fois, décolla du geste le si mauvais devoir qui était resté sur la peau de la malheureuse Française.
Sur son visage d'ange sévère, il n'y avait toujours pas la moindre trace de rage. Juste de l'indignation froide, qu'on aurait vu à ces vieillards qui ont tout vu, hantant chaque village et chaque quartier. Sur ces lèvres, ce très léger sourire vaguement désolé. Mais désolé pour lui, de devoir toujours et encore en venir à la douleur, face à ces êtres rebelles qui ne voulaient comprendre aucun autre langage.

    J'avais pensé vous donner une seconde chance, mais votre comportement me fait songer qu'en plus d'une cancre, vous êtes une menteuse.

Ajouta-t-il, avant de la repousser en arrière presque avec dégout, et de se relever, les clés jouant dans la main.
Il la toisait de toute sa hauteur, ce sourire étant devenu une moue écoeurée. Comme s'il regardait une larve suintante.
Sa main qui l'avait saisie restait un peu tendue, comme s'il refusait que ce gant ne le touche davantage.
D'une voix sans appel, de juge, il lâcha.

    Si le prochain devoir est aussi mauvais, je vous brise la main pour vous apprendre à écrire.

C'était dit si simplement que ça semblait, à ses yeux, être le bon sens même.
Un prochain devoir signifiait une prochaine interrogation. Une prochaine nomination.
comprenait-elle tous ces regards baissés et ces sueurs nerveuses alors qu'il avait rendu les copies?
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MessageSujet: Re: Les cours sont particuliers [Manon]   Les cours sont particuliers [Manon] Icon_minitimeVen 3 Avr - 8:46

Le silence qui régna un instant dans la pièce était pesant. Manon aurait voulu que quelqu'un rentre et la sorte de ce mauvais pas mais rien ne se produisait qui lui donne une quelconque lueur d'espoir. Il fallait qu'elle se calme et résiste à la tentation de réagir. Mais cela avait été plus fort qu'elle. Elle ne supportait pas l'injustice et, pour elle, tout ce qu'elle vivait, cet affreux cauchemar qui avait commencé quelques semaines auparavant lors de son arrestation puis de son jugement inique, tout cela était injuste.

L'homme qui était dans cette pièce réagissait toujours avec une froide brutalité. C'était la constatation que la jeune fille faisait depuis le début de cette redoutable séance. Cela se confirma aussitôt quand il prit ses cheveux à pleine main et tira sans aucune précaution sa tête en arrière. Manon eut la sensation que son cuir chevelu allait être arraché. Une douleur violente se propagea dans sa tête. Elle eut envie de crier, de lui dire d'arrêter. Mais son amour-propre l'en empêchait. Elle l'entendit à peine qui lui disait qu'elle devait être courtoise et qu'il ne plaisantait pas. La jeune fille en avait le souffle coupé par la douleur.

Mais son cauchemar était loin d'être fini et elle eut rapidement un nouvel aperçu du talent du gardien à éduquer ses prisonniers. A peine la douleur se faisait-elle moins violente dans son cuir chevelu et cessait-elle d'irradier partout dans son corps qu'elle sentit sa tête propulsée avec une violence étonnante contre le bureau. Elle n'était qu'un vulgaire pantin désarticulé entre les mains de son bourreau. Son visage heurta avec force le dessus de la table qui fut secouée, le stylo tombant par terre. Manon eut la sensation que sa tête allait exploser, que son nez se fracassait, que ses joues brûlaient. Elle resta hébétée, sentant que pour elle le monde s'écroulait. Mais elle n'eut même pas le temps de s'en remettre que déjà les mains impitoyables tiraient à nouveau sur sa chevelure pour redresser la tête, provoquant de nouvelles douleurs dans le cou, dans les épaules, réveillant les douleurs récentes dans son crâne.

A moitié étourdie par la douleur, Manon devinait le visage du gardien et un sourire mauvais fleurissant sur les lèvres de celui-ci. Elle entendit vaguement qu'il la traitait de menteuse. la jeune fille sentit à cet instant le goût du sang qui s'écoulait doucement dans sa bouche. Le choc avait été si violent que son nez devait saigner. Ce type était complètement malade. Elle murmura encore une fois "salaud" d'une voix tellement basse et imperceptible qu'elle était certaine qu'il n'entendrait rien. Puis elle parla un peu plus fort

"pitié... je vous en prie ... arrêtez... vous allez me défigurer...j'ai mal... je saigne..."

Elle geignait plus qu'elle ne parlait. Son coeur battait à plus de 100 pulsations minute. Manon ne comprenait pas ce qui lui arrivait, incapable de seulement raisonner. Elle arrivait à peine à distinguer son visage et son sourire moqueur. Puis elle sentit qu'il relachait sa pression sur sa chevelure. Elle entendit qu'il la menaçait de lui briser la main au prochain devoir raté. Ce type était un sadique. Des larmes coulaient sur les joues de la jeune fille, des larmes qui, se mêlant au filet de sang s'écoulant doucement de son nez avaient un goût acre. Le sang avait taché la copie de la jeune fille qui, hébétée, regardait toujours son tortionnaire...
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MessageSujet: Re: Les cours sont particuliers [Manon]   Les cours sont particuliers [Manon] Icon_minitimeMar 7 Avr - 16:04

Un certain contentement le gagna. Ce contentement qu'on a lorsque l'animal qu'on dresse commence enfin à baisser la tête à l'écoute de vos seuls pas. Lorsqu'il commence enfin à comprendre là où figure tout son intérêt, et son seul intérêt. La soumission. Pas d'échappatoire. Il faudra être docile ou être écrasé. Vivre à genoux, ou mourir couché.
Personne ne viendra t'aider. Personne. Aucun être ici ne te sortira de ma poigne. Et je ne te relâcherai pas tant que tu n'en seras pas entièrement formée.
Celui qui se considérait comme un artiste des âmes retira précautionneusement le moindre des cheveux qui s'était collé à son gant, les laissant retomber sur le bureau avec lenteur. Un. Deux. Trois. Quatre. En tout, une bonne vingtaine. Il laissa passer la supplique de la prisonnière comme on écoute une porte grincer. Les narines légèrement écartées, et simplement concentré sur le bruit pour en extraire la substance, et savoir où le mécanisme bloque.
    La douleur est la réponse à l'insolence. Je vous laisse en tirer vous même les enseignements sur la façon de l'arrêter.

Il rajusta son gant encore une fois, l'observa soigneusement, de chaque côté. Claqua de la langue avec un ton légèrement affecté, et tout à fait contrit.
    Vous salissez les lieux communs. Il faudra nettoyer.

Les bottes claquèrent ensuite, alors qu'il allait vers le bureau. Il se déplaçait avec cette lenteur appliquée qui sonnait, pour beaucoup, comme un glas. Un métronome funeste. Ce pas martial et cet accent germanique avait de quoi réveiller des fantômes pas encore si vieux, et démesurément craints. Qu'avait donc fait cet homme, à la précédente guerre? Avait-il été de ceux qui avaient condamné femmes et enfants, sans se poser la moindre question sur leur propre légitimité à le faire? Avait-il une conscience, avait-il encore son âme, ou l'avait-il vendue il y a déjà longtemps?
En tous cas, sa façon de répondre au saignement de la jeune femme avait de quoi faire frémir. Nettoyer. Elle salissait. Elle était coupable même de cela, et sans sa voix il n'y avait aucune accroche pour l'en faire douter. Il était juge et bourreau.
Une fois son bureau atteint, il saisit une feuille vierge, qu'il ramena avec la même lenteur, son livre shakespearien en main. Il lui tendit la page, avec un sourire aimable.

    Nous allons recommencer la dictée. J'espère que vous êtes plus concentrée, maintenant. Ramassez votre crayon, le sang ne me dérangera pas pour vous relire. Vous laverez alors que je corrigerai.

Le prochain devoir était maintenant. Alors que la douleur rodait encore dans son corps, et que la menace rodait encore dans la salle. Elle serait seule, qui plus est. Il n'avait toujours pas l'air de plaisanter. Loin de là. Et alors que la feuille commençait à décliner vers la table, il se racla la gorge. Énonça le titre de la composition. Ca recommençait. Le cauchemar était loin d'être fini.
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MessageSujet: Re: Les cours sont particuliers [Manon]   Les cours sont particuliers [Manon] Icon_minitimeMar 7 Avr - 22:32

Son cauchemar continuait et malheureusement personne ne venait à son aide. La salle restait desespérément vide ou plutôt il n'y avait qu'elle et ce malade. Quand Manon jetait un coup d'oeil furtif vers le gardien, il lui semblait voir une certaine satisfaction sur son visage. Elle ne saurait dire si c'était une illusion ou la réalité. Mais c'était sa perception. Et cela ne la rassurait pas du tout. La jeune fille se demandait ce qu'il lui réservait, quelles étaient les idées tordues qui étaient en train d'éclore dans ce cerveau dérangé. Il venait de nettoyer son gant des cheveux qu'il lui avait arracher en la faisant horriblement souffrir et là encore elle crut apercevoir un petit sourire fleurir sur les lèvres de l'allemand.

Il lui laissa comprendre qu'elle avait le moyen de mettre un terme à ce traitement douloureux : obéir et ne plus être insolente. Mais Manon ne voyait pas en quoi elle s'était montrée insolente. Quoiqu'elle eut fait il aurait trouvé à redire. Il avait décidé de s'acharner sur elle et c'était son plaisir sadique du moment. Elle prit en pleine figure la remarque qu'il lui fit à cet instant : elle avait sali et elle devrait nettoyer. Comme si c'était de sa faute à elle si elle avait saigné du nez. C'était lui qui avait provoqué cela! La rage bouillait de nouveau en elle. Il faudrait qu'elle se venge mais en attendant elle ne devait surtout pas se mettre à genoux devant lui, elle ne devait se laisser abattre.

Manon le regarda s'éloigner d'elle, se disant qu'elle pourrait peut-être souffler un peu... mais cet espoir fut de courte durée. Elle le vit s'approcher du bureau et saisir une feuille de papier avant de lui tendre cette feuille. Elle allait encore être obligée de travailler sous sa dictée et sa surveillance. Il enfonça le clou en annonçant qu'ils allaient recommencer la dictée. Tout mais pas ça! La jeune fille eut l'impression que le monde lui tombait sur la tête. Sa vue se brouilla, sa tête tournait. Il lui ordonna de reprendre son crayon. Les mots résonnaient dans la tête de la prisonnière mais elle ne les retenait pas. Mécaniquement elle saisit cependant son crayon. Manon fixait la feuille de papier où venait de tomber une nouvelle goutte de sang. Elle n'avait aucun mouchoir pour arrêter l'hémorragie. Elle mit la tête en arrière et sentit le sang qui s'écoulait dans sa gorge.

L'homme venait de recommencer sa dictée, énonçant le titre avec ce drôle d'accent qui, en d'autres circonstances l'eut fait rire. Mais là, elle n'avait pas du tout envie de rire. La jeune fille restait figée, la main en l'air avec ce crayon qu'elle tenait. Elle aurait eu envie de lui lancer n'importe quoi à la figure pour le faire taire. Et dire qu'il lui avait parlé de nettoyer les taches qu'elle avait faites ... de nettoyer ... au moment de la correction c'est ça! Mais la correction risquait d'être rapide telle qu'elle était partie. Elle essaya de se concentrer mais n'y parvenait pas. Elle le regarda, les yeux dans le vide. Il semblait s'impatienter. Elle écrivit le titre, pas du tout sure d'elle. Même les choses simples lui semblaient très compliquées. Et puis avec cet accent ... elle ne comprenait rien de ce qu'il disait. Il parlait trop vite aussi.

"Monsieur... vous pouvez répéter s'il vous plait ... et aller un peu moins vite. Je n'ai pas tout compris."

Elle avait essayé de se montrer polie, presque déférente. Mais Manon doutait que ce fut suffisant pour calmer la colère du gardien qui ne demandait qu'à exploser de nouveau.
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MessageSujet: Re: Les cours sont particuliers [Manon]   Les cours sont particuliers [Manon] Icon_minitimeMar 14 Avr - 4:24

Le martellement de la botte avait marqué un défaut dans son tempo. Une seconde suspendue, avant de reprendre. Anstern n'avait pas relevé davantage la remarque de la jeune fille. Tout juste avait-il déclamé chaque mot avec plus de poids, de vigueur, comme autant d'épées flottant au dessus de sa nuque frêle. La lente déclamation du texte d'un temps révolu ne souffrait pas d'être interrompue. Et il rôdait, le Loup, autour de la biche aux abois, condamnée à tenir sa vie au bout d'un crayon qui étalait quelques gouttes d'un sang qui avait oublié d'être épars. Inlassable bourreau, adorateur impie du détail. Tout n'était, avec lui, qu'une foule de détails à régler. Ce tremblement dans la forme de la lettre. Cette orthographe complexe ou modernisée. Tout devenait sujet à angoisse.
Pour un mot il pouvait défigurer. Pour une lettre écrite, était-ce pire? Sans aucun doute. Les paroles s'envolaient -Et pourtant Dieu savait que les siennes étaient lourdes- mais les écrits, eux, restaient. Marqués de gouttes de honte, écarlates, qui bientôt prendraient une couleur brun ocre, sombre. qu'on pourrait gratter, laissant une auréole jaunâtre. Ecoeurante.
Tout était détail, et tout était traces. Quelques soient les couleurs et les contours. avec lui, autour de lui, le monde se faisait méandres et mécanismes.

C'était la fin de la dictée. Il était là, face à elle, à nouveau planté devant sa copie. Main sur le bord du bureau. Visage attentif. Oeil critique envers le résultat. Et sa voix, basse et roulante, susurra de façon outrageusement sensuelle, tant sa gorge le modulait de façon affectée, presque tendre et désolée.

    C'est mauvais.

Il avait repris une mèche de cheveux de la demoiselle entre ses doigts, et la laissait couler. La replaça derrière l'oreille de Manon. De façon également presque bienveillante, avec un sourire teinté d'un petit quelque chose qui signifiait clairement "Je suis navré d'en arriver là, mais tu ne me laisses pas le choix."
    C'est très mauvais.

Il prit une chaise, et la tira à lui pour s'assoir aux côté de la demoiselle. Prenant délicatement sa petite main, celle qui ne tenait pas le crayon, dans les étaux qu'étaient les siennes.
    Je n'ai pas même besoin d'aller au delà de la troisième phrase. Vous savez, je n'aime pas en arriver là. Mais je crois que vous avez besoin d'un cadre. D'une réelle motivation.

L'index de la jeune fille se retrouva entre les deux siens. Il le fit rouler entre le cuir de ses gants, au niveau de la dernière articulation. en faisait jouer la charnière. Désagréable, véritablement désagréable. Pas douloureux pour autant. Du moins, pas encore. Et lui, ce démon au visage d'ange penché sur elle, soufflait.
    Je fais ça pour votre bien.

Il appuya légèrement plus fort. Les yeux dans les siens, sans varier de mine. De sévère juge, il était passé à malheureux bourreau. Déçu, si déçu de devoir accomplir son travail. Si déçu de devoir encore en passer par là. On aurait presque pu croire le faire fléchir, s'il n'y avait pas cette lueur en ses yeux. Il attendait encore, encore juste un peu. Laissait croire à la dernière chance. Peut être existait-elle vraiment.

Peut être pas.
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MessageSujet: Re: Les cours sont particuliers [Manon]   Les cours sont particuliers [Manon] Icon_minitimeDim 19 Avr - 19:21

Les paroles de son tortionnaire, car comment appeler autrement ce type qui prenait un malin plaisir à la mettre sur le gril, à distiller la peur, à la fair souffrir mentalement et physiquement, les paroles donc résonnaient dans sa tête mais Manon ne les entendaient pas. C'était une sorte de brouhaha que son esprit refusait de comprendre. Elle allait au désastre, cela elle en avait conscience, mais ne trouvait pas le moyen de juguler sa panique, de s'appliquer. Et lui qui continuait impertubable. Les appels à l'aide de la jeune fille n'y faisaient rien. Elle avait presque l'impression même qu'il accélérait son débit au fur et à mesure qu'elle lui demandait de répéter et d'aller moins vite. La jeune prisonnière n'osait même pas imaginer ce qu'allait être la réaction de l'homme quand il corrigerait sa copie.

La voix se tut. Le devoir devait être terminé. Elle le vit devant elle, impertubable, cynique, le regard dur. Manon osait à peine le regarder. Quand elle l'entendit dire "c'est mauvais,... très mauvais" elle devina chez lui une sorte d'excitation presque sensuelle. Il jouissait en réfléchissant à la punition qu'il préparait. Quelques larmes perlèrent de nouveau sur les joues de la jeune fille et finirent par tomber sur la copie. Quand elle sentit les doigts du gardien qui se posaient sur sa chevelure et prenaient une mèche, elle repensa à la douleur qui l'avait envahie quelques minutes plus tôt lorsqu'il avait tiré sur se cheveux, abimant sa belle crinière noire. Manon fut parcourue d'un frisson de panique. Quelques gouttes de sueur perlant sur son front alors qu'elle sentait pourtant son corps se glacer, la jeune fille se recroquevilla. Il se contenta pourtant de remettre la mèche derrière l'oreille de l'élève-prisonnière. Aurait-elle un peu de répit? Avait-il compris qu'elle n'était pas en état psychologique de réussir son devoir?

La manière dont il s'installa sur une chaise à côté d'elle, un sourire cruel au bord des lèvres puis dont il prit sa main gauche, faisant rouler son index entre ses propres doigts gantés, tout en lui disant d'une voix douce mais ferme "vous avez besoin d'un cadre..." fit perdre à Manon ses dernières illusions. Son articulation était triturée sans qu'elle ne ressente de véritable douleur. Mais elle imaginait sans peine ce qu'il pouvait lui faire endurer et cela provoquait chez la jeune fille une véritable angoisse. Elle avait le souffle presque coupé, son visage était presque décomposé. Son esprit était incapable de raisonner, de comprendre ce qui lui arrivait, de faire la part des choses. Elle était peut-être responsable de ce qui lui arrivait après tout. Elle aurait dû se montrer plus appliquée. l'homme venait de lui dire qu'il faisait ça pour son bien. Il avait peut-être raison. Elle se montrait trop indisciplinée, trop rebelle. Toutes ces pensées se bousculaient dans sa tête.

"vous avez raison ... j'ai besoin d'être recadrée ... de faire plus d'effort ... je m'excuse de ne pas avoir saisi la seconde chance que vous m'avez donnée... votre punition, aussi dure soit-elle, sera jusitifié..."

Manon avait dit cela d'un ton presque absent et baissa les yeux après avoir terminé sa phrase. Elle était profondément troublée mais se disait aussi que reconnaître ses torts apitoyeraient peut-être un peu l'homme, bien qu'il paraisse imperméable à toute pitié.
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MessageSujet: Re: Les cours sont particuliers [Manon]   Les cours sont particuliers [Manon] Icon_minitimeLun 27 Avr - 4:05

Sauvez un serpent, nourrissez-le, entourez-le de faveurs et lui vous mordra durant votre sommeil. Pensez que les loups ne sont que des chiens qui ont refusé de se laisser amadouer. Pensez bien à tout ceci. Anstern était là l'incarnation de ce qu'on pouvait en déduire. Il était satisfait. Amplement satisfait. La jeune fille face à lui s'abaissait. Se recroquevillait. Elle avait peur, enfin, elle était apte à dire tout ce qu'il voudrait entendre. C'était un excellent début. Seulement un début, pour autant. La symphonie se composait en actes.

Le doigt jouait sur son articulation, encore et encore. L'Allemand hocha la tête tant aux larmes qu'aux paroles. A l'angoisse palpable, perlant à son front en rosée saline. Il était redevenu glacial, il avait perdu son sourire. C'était là un juge critique, qui avisait une oeuvre, en estimait la valeur. Elle en était au point où elle aurait pu aboyer, s'il le lui avait suggéré. Elle s'en serait peut être même mise à quatre pattes de son propre chef, pour lui plaire, pour ne plus avoir mal, pour qu'il enlève ses mains. C'était une bonne chose, mais il ne servait à rien de chercher à se le prouver. Le fait qu'elle y soit parvenue était suffisant, et bien plus durable que s'il cherchait déjà à en profiter. Par ailleurs, son profit n'était pas là. Il était dans ces gouttelettes de peur, dans cette nuque pliée. Pas dans sa douleur ni dans ce qu'il pourrait en faire.

Elle lui était soumise. C'était parfait. Et suffisant. Surtout pour une première rencontre. Une première fois.

    Je suis heureux que vous soyez enfin raisonnable, Mademoiselle Dubois. C'est pour cela que je vais être généreux.

Sa générosité était légendaire. Dans un mauvais sens. Le doigt plia, soudain, et craqua sous son impulsion. Il était, d'un geste, plié à l'envers. C'était douloureux, bien sûr. Comme un éclair qui traverse le corps, à partir de si peu de chair. Si peu. Anstern savait jouer des partitions très fines.
Il se releva, la laissant à sa douleur, contemplant son ouvrage d'en haut. Sa main gantée se saisit de la feuille maculée. Il revint ensuite, détaché, ni nonchalant, ni pesant, vers son bureau. Ca n'était que la routine, pour lui, une leçon comme une autre. Il ne devait jamais laisser penser à un prisonnier qu'il avait une quelconque espère d'importance à ses yeux. Ou seulement dans l'écrasement. Il rangea ses feuilles, méthodiquement, les classa par nom. Y compris celle ci. Et elles disparurent dans une chemise bien propre. Bien nette.

    Vous pouvez rentrer dans votre chambre, à présent, ou choisir de continuer à travailler ici. Vous en auriez besoin. Soyez présente au prochain cours. Et motivée.

Un sourire, à nouveau. Un sourire de poignard ou de glacier. Quelque chose de froid comme un acier.
    Je ne serai pas toujours aussi patient. Dans votre intérêt, révisez bien cette leçon.

Derrière lui, il laissa un parfum de sang, et le bruit des clés. La porte était ouverte, mais la sentence était nette. Il n'allait pas oublier. Elle non plus, certainement pas. Ou alors, il saurait se rappeler à elle.
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