Histoire :On bute un type comme on vide une volaille. Avec cette habitude innocente du pire au nom du bien. Le seul bien qu’il n’ait jamais accordé dans sa vie, sans aucun doute. Jamais le genre de type à secourir la veuve et l’orphelin. En fait, il était même plutôt de la catégorie de ceux qui attendent les faibles dans des ruelles obscures. Le genre qui hurlait « pour le plus grand bien » en projetant leurs attaques kamikazes sur des vaisseaux ennemis.
Pour le plus grand bien.
Je me souviens encore de ses yeux, de ce regard profond de femme adulte, noir et sans fond. De cette lueur qui brillait d’admiration alors que sa bouche prononçait mille remontrances, mille questions sans qu’aucunes ne vienne trouver réponse.
« Pourquoi ? Aiko ? »Même moi je n’avais la réponse, j’en étais restée muette. Après tout, ce corps là, par terre, n’était ce pas…
« C’était ton père »Il avait éclaté de rire, toujours le même, puis lancé l’arme dans un geste théâtral d’un gout douteux. Je ne me souviens plus de ce qu’il avait dit, ce soir là, alors que la pièce entière était nimbée de rouge et que le papier de la lampe renversée commençait à sentir l’odeur âcre de la brulure. Quelque chose d’assez particulier, quelque chose qui me décida finalement à rester avec ce fou furieux.
Pour le plus grand bien.
Allez, mes petits,
flashback.C’est dans un bordel qu’est né Aiko, le très jeune, et l’encore très innocent. Fils d’une quelconque camarade de joie et du plus puissant des yakuza de la ville. Tokyo en 27 était une ville comme on en faisait plus, le grand tremblement de terre de 23 avait rasé tout ce qui existait de plus ou moins vertical (vous savez avec les japonais) et avait ouvert la porte à toute une pègre fantastique. Une vraie faune, je vous le dis. Et puis à l’époque, être yakuza, c’était être un peu pote avec l’empereur.
Je vous ai raconté que pendant le grand tremblement de terre, un morceau de béton gros comme un occidental avait manqué d’écraser la mère d’Aiko ? J’aimerai bien entendre le soupir de soulagement qu’auraient poussé toutes les vies que ce type allait massacrer par la suite.
Enfin pour l’instant, c’était surtout des râles, et des grognements d’un Oyabun satisfait et d’une jeune femme simulant le plaisir avec tous ces clients.
Enfin on fait pas d’omelette sans casser des œufs.
Là, en l’occurrence, vous voyez de quels œufs je parle.
C’est dans cette ambiance sulfureuse, de sexe et d’argent posé sur un coin de table que le jeune Aiko échappa à la matrice protectrice du ventre de sa mère. Cette femme, c’était quelqu’un. Elle avait le regard dur, comme une perle d’obsidienne. Oh oui je me souviens quand elle promenait ses petits yeux acérés sur moi, le frisson qui me secouait la gorge. Elle était d’une beauté surnaturelle, avec ses yeux bridés, sa peau laiteuse et ses très longs cheveux noirs. Cette femme était une malgré tout, malgré la honte, malgré la pauvreté, malgré la tristesse, malgré la souffrance, malgré les coups, malgré les blessures, elle restait intacte dans cet orgueil comme seules les femmes peuvent en posséder. Elle avait ce quelque chose de démesuré qu’elle a surement transmit à son fils. Dommage que ce petit con ait été bien incapable de faire quoique ce soit de cette confiance absolue.
Enfin, toujours est-il que cette femme fut quelqu’un que j’ai profondément apprécié la première fois que je l’ai vu. Malgré tout.
Le père, lui n’avait que le mérite d’être riche et d’avoir les yeux d’un bleu intense.
Aiko était ce genre d’enfant très silencieux, avec son regard plissé, caché derrière une commode à observer bien sagement les erreurs anatomiques de dame nature et toutes les capacités de souplesse d’un être humain une fois dans une position horizontale.
Vertical, horizontal, un tremblement de terre à une autre échelle.
En fait je pense qu’on peut en vouloir à la mère. Cette femme avait quand même un grain.
Toutes les femmes adoraient ce petit enfant sombre, jamais souriant mais toujours présent. Qui sa laissait passer la main dans les cheveux, qui se laissait habiller comme une poupée sans moufter, et qui avait cette formidable capacité d’être vraiment mignon. Oui vraiment, dès qu’elles avaient une pause, toutes les femmes de ce grand écosystème qu’est un bordel venaient flatter l’égo de ce nouveau né. Penchaient sur son berceau leur poitrine défraichie, leur visage usé, collaient leurs lèvres encore blanchies à sa joue en s’extasiant sur sa beauté juvénile. Puis plus tard, l’initièrent aux joies de la manipulation du sexe masculin, de la fourberie charmante, de la traitrise gentille. Un univers d’amazone domptées dont il était le seul mâle accepté, sans vraiment en être un.
De quoi donner des complexes, même à un futur pape.
Aiko ne fut jamais le genre à avoir quelconque hantise, non, lui, je crois, s’est toujours tenté de cristalliser la moindre information étrange dans son cerveau déjà malade.
Toute cette existence sentait la poudre.
Au début de la seconde guerre mondiale, alors que le petit bout avait 12 ans, le père est réapparu. Surement un de la race des lions celui là, attendant que sa lionne élève l’enfant avant de le récupérer.
On ne m’a jamais expliqué pourquoi finalement le bâtard même pas majeur s’est retrouvé propulsé futur Oyabun par procuration.
Surement que les yeux bleus devaient suffire.
Ceux de la mère se sont simplement détournés.
Grandissant, partagé entre la douceur du cocon féminin et l’entrainement rigoureux d’un père désireux de voir fiston reprendre l’entreprise familiale, Aiko se décala encore un peu plus.
Adieu mesdames.
Quand il coucha un soir avec la première d’entre elles, plus aucune ne le vit comme le petit enfant de la maison. Et le peu de yen qu’il laissa sur la table de chevet en firent un lion en son domaine. On règne toujours où on peut.
Il évita la guerre et ses soucis. A vrai dire, il n’avait jamais été dans ses sphères là, le petit Aiko. Non pas que le nazisme n’ait pas flatté son âme (enfin les morceaux épars de son âme, entendons nous bien), mais il était bien trop japonais et pas assez blonds aux yeux bleus. En fait, il était même suffisamment intelligent pour se douter que si les allemands avaient trahis les russes, ils n’hésiteraient pas à fusiller ces faces de citron de l’autre coté du monde.
Et par expérience, Aiko savait déjà qu’il est toujours plus utile d’être du bon coté du fusil.
C’est à ses 18 ans, que je l’ai enfin découvert. Cet espèce de monstre, déjà formé, déjà ce sourire à faire trembler ses plus proches amis (qu’il n’avait de toute façon pas). Déjà lui, avec tout ce qui le rendait plutôt spécial.
Quand je l’ai vu s’approcher, j’en ai presque tourné dans mon flacon.
Après tout, j’étais encore innocente...
Si si !
Je n’étais même pas née.
J’ai pris conscience, lentement, de jours en jours, sous les mains patientes d’un artisan, que dis-je d’un maître !
Des jours et des jours, de cet encre rouge comme du sang.
Et mon œil.
Bleu.
Normal, me direz-vous.
Il m’a sourit une fois et m’a oublié.
Quel intolérable fils de pute ! Moi, sa carpe quoi !! Son dos, son troisième œil.
Non attendez.
Toutes des putes, sauf maman. C’est vrai.
Enfin si. Mais quels beaux yeux noirs.
Je suis alors devenue le témoin silencieux de sa vie, moi la carpe sans nom, aux canines acérées, l’effrayant poisson docile nageant sans cesse sur la mouvance de ces muscles domptés par ma seule encre.*
Je m’emporte.
On rembobine.C’est ce soir là que les choses ont changés. Plus qu’avant.
Il la battait. Le père, de savoir qu’Aiko n’était pas l’enfant parfait.
Et cette fois encore, au dehors de la paroi mince, personne n’a vu cet œil gris qui observait. Pour le plus grand bien.
Je lui ai susurré cent vengeances.
Il a retenu le châtiment.
Tous ses cours, ses instants de souffrance, toutes ces joies, ces déceptions. Tout sa vie, sa naissance, son destin. Toutes ces coupures, brulures, blessures, sang sur la lame. Tout n’avait servit qu’un seul dessein.
Briser la roue de son père.
De cette lame là, fatale, entre deux vertèbres.
Et le gout du sang.
On en devient fou.
« Tu dois t’enfuir, mon fils »Ah qu’elle l’aimait, cette silhouette toujours distante qui finalement avait répondu présent. Je l’ai vu dans son regard noir, quand il est parti sans un mot, quand il a tourné le dos.
J’ai vu ces iris devenir bronze.
Elle avait un grain.
Finalement, mon destin de carpe yakuza se brisa dans l’œuf (lequel, comptez les dans mon récit) et je devins une carpe rônin. Notons que si la conjugaison nouvelle me sembla difficile, Aiko s’en porta comme un charme.
Lui chef, pour l’avenir des générations précédentes, pitié, non.
On a erré, lui, moi. Surtout lui, de pays, pour fuir d’abord le japon, pour fuir ensuite beaucoup de choses, beaucoup de procès, beaucoup de fourches et de flambeaux allumés aussi. La torche... toujours du bon coté, c’est mieux.
C’est après quelques temps que le nom de cet endroit est devenu quelque chose de tangible. Aiko fut peut-être seulement le seul gardien à ne pas être éprit follement d’ordre mais en à avoir besoin pour empêcher son cerveau de vriller. Livrez un chaotique au chaos et il se détruit. Donnez-lui une ligne, il la transgresse sans jamais s’en éloigner. C’est un peu comme un but, d’être fou.
High Creek Jail.
Ma foi ça sonnait bien.
Et le directeur avait de l’allure.
Et puis, tout le monde voulait le voir en prison. Cette fois c’est fait.
Mais toujours du bon coté des barreaux, toujours.
A savoir : Aiko possède une grande panoplie de lame, épée, katana, couteaux en tout genre. Il possède d’ailleurs des capacités dangereuses d’escrimeur et sait mieux se servir que quiconque de tout ces objets tranchants.
.Divers Avez-vous lu le règlement ? Code validé par Mr. H. en personne ! (ou pas)
Commentaires divers : Prout (je sais c’est élégant)